Les Oubliés est un film qui porte malheureusement bien son nom tant il est resté discret et n’a fait que pâle figure face aux monstres tels que Logan et T2 – Trainspotting, ou même Patients dont le réalisateur Grand Corps Malade, possède sa petite notoriété. A vue d’œil, le film de Martin Zandvliet ne paie pas de mine, encore un Nième film sur la seconde guerre mondiale ou ses conséquences, on ne s’attend dès lors plus à grand-chose. Cet événement continue encore aujourd’hui d’alimenter les plus grands fantasmes, vérifiable quelques mois plus tôt avec la sortie de Alliés de Robert Zemeckis notamment. Il faut avouer que la situation s’y prête énormément, et le mur de Berlin fut une excuse à de nombreux scénarios cherchant à mettre en avant des drames sociaux et sentimentaux plutôt que d’aborder la période à travers la guerre et ses horreurs. Mais dans tout cela, on oublie trop souvent que cette guerre mondiale, ainsi que la première, comme son nom l’indique, est mondiale, et n’a pas affecté uniquement la France, l’Allemagne, la Russie et l’Angleterre bien planquée sur son île. Elle a concerné tout le monde, et en ce sens, on oublie un peu trop rapidement que certains pays ou intervenants très importants ont été des éléments centraux de cette folie.


Ce film questionne continuellement l'éthique et la morale de chacun envers des gens que l'on condamne pour des fautes dont ils ne sont pas responsables. Les Oubliés est donc là pour traiter d’un événement méconnu, mais tout aussi affreux et tragique. Plusieurs millions de mines ont été plantées sur les plages danoises par les allemands, pensant que le débarquement allié s’y ferait. Erreur aussi grosse que celle de la ligne Maginot puisque les plages sont restées intactes. Malheureusement, les mines aussi, après la guerre, celles-ci n’ont jamais été désamorcées et il est du devoir des allemands de s’en charger. Des allemands faits prisonniers sortant tout juste de l’adolescence. Compte tenu de la dangerosité de l’acte, ils méritent bien leur sort, ils l’ont cherché après tout !? Mais est-il bien moral d’envoyer des enfants tout justes capables de se servir d’une arme ? Faut-il condamner une atrocité par une autre ? Ces enfants sont-ils responsables des fautes faites par des gens qu’ils ne connaissent tout simplement pas sous prétexte qu’ils ont la même nationalité ?


Ce sont les questionnements que Les Oubliés essaie de produire chez le spectateur. Des films visant à réhausser la vision que l’on a des allemands en expliquant notamment qu’ils étaient aussi victimes que leurs victimes, il y en a eu quelques-uns, et des excellents lorsqu’on pense à la référence La Liste de Schindler. Mais rares sont ceux qui abordent des événements s’éloignant des frontières franco-allemandes. Le long-métrage fait très rapidement froid dans le dos quand on assimile que ce à quoi on assiste s’est véritablement déroulé. Sous couvert d’une production et d’une distribution discrète, ce long-métrage n’en est pas moins ambitieux. Difficile de rester impassible devant les événements qui se déroulent sous nos yeux tant ils sont d’une dure fermeté mettant en scènes des actes inqualifiables. Ils remettent en cause les fondements même de l’éthique morale tant les enfants prisonniers allemands ne valent guère plus que des insectes aux yeux de leurs supérieurs.


Le sujet du film permet également de traiter l’histoire d’une manière très forte. Rares sont les films qui parviennent à instiller l’échéance d’une situation de manière aussi dramatique. Comme dit le dicton : « l’important, ce n’est pas la chute, mais l’atterrissage », et cet atterrissage, on sait pertinemment qu’il finira par arriver, tôt ou tard. Mais surtout, il n’y a pas qu’un seul atterrissage, et pas d’une seule manière, obligeant le spectateur à rester dans le doute et la tension constamment. Le jeu d’acteur entre les enfants prisonniers, dont les mentalités sont diverses et variées, et les adultes, dont les attitudes sont très fermes et catégoriques, donne lieu à une multitude de réactions potentielles différentes et aussi hasardeuses que dangereuses. A chaque instant, à chaque moindre geste, à chaque décision, la vie de tout un chacun manque de basculer. L’ambiance est telle que même en admettant que chaque action engendre la mort, la tension reste tout de même à son paroxysme quasiment tout au long du récit. Rarement l’épée de Damoclès n’aura eu autant de poids que dans cette production.


Les Oubliés propose une ambiance angoissante et oppressante, tout comme les meilleurs films d'horreur y parviennent, alors que c'est un film de guerre mais qui parle d'une partie de ses horreurs. D’autre part, la mise en scène et la photographie sont parfaitement maîtrisées. Les acteurs n’en font jamais trop et n’essaient pas de tirer les larmes du spectateur. On pourrait considérer que les personnages ne font pas suffisamment ressentir le poids de leur situation exécrable et inhumaine qui devrait probablement les pousser au suicide ou à la dépression. Puis on repense à la façon dont le Srgt Carl essayait de les motiver et on comprend que les dialogues ont beaucoup d’importance car ils donnent beaucoup d’indices sur la cohérence de l’histoire. De leur côté, chaque événement est très fort émotionnellement et psychologiquement tant ils surviennent de manière à la fois excessive et ponctuelle lorsqu’on finit par croire que le pire vient juste de se produire et qu’il est derrière nous.


Pour conclure, Les Oubliés est une véritable petite perle, très dure, très forte, très émouvante. Non seulement bien réalisée mais aussi bien jouée. La photographie est superbe et offre un réalisme très perturbant, notamment dans les explosions très poussiéreuses comme on a l’habitude de voir dans les scènes de débarquement sauf que cette fois-ci il n’y a personne. Quant à la morale, elle ponctue le tout de manière affreusement mature et violente. Une œuvre qu’il est déconseillé de regarder durant une période dépressive.


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Notry
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Dans ces films, il y a un chien qui meurt. et Les meilleurs films de 2017

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le 24 déc. 2018

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