Un film qu’on pourrait dénigrer en considérant qu’il ne s’y passe pas grand-chose, à part mettre en valeur le patrimoine Suisse, les vaches, le lait, le chocolat, les montagnes. Même les banquiers ont leur rôle à jouer, puisqu’il est question d’un héritage familial où une exploitation agricole est en jeu. Est-ce que cela mérite d’y consacrer plus de 2 heures de son temps ? Si vous voulez un début de réponse, cela fait deux fois que je le vois.


Dans une exploitation agricole assez isolée, Pipe (Michel Robin pour qui le rôle est taillé sur mesure) s’approche doucement de l’âge de la retraite. Physiquement, pour lui le travail devient difficile. Alors, il déplace du foin pépère et envisage son avenir en faisant ce qu’il n’a jamais fait. Sinon, comment expliquer qu’il commande une mobylette toute neuve et qu’il aille jusqu’à observer son arrivée par le train, fixée bien en évidence sur un wagon découvert ?


Pipe est (probablement) un vieux garçon qui (probablement) a toujours travaillé comme garçon de ferme dans cette exploitation familiale. Il vit dans une chambre où il décide de garer son bel engin tout neuf, au grand dam des propriétaires. Il a bien besoin de l’observer pour se délecter de son incroyable audace (qui fait jaser tous ceux qui l’observent). Comme les autres, Pipe mange à la table commune avec les propriétaires (Fred Personne et Mista Prechac), leur fils Alain (Laurent Sandoz), leur fille Josyane (Fabienne Barraud), ainsi que Luigi (Dore De Rosa) un ouvrier italien. Le père est un paysan bourru qui voudrait continuer comme il a toujours fait. Le fils voit plus loin, il a fait ses calculs et il est prêt à emprunter sur une longue durée pour faire selon ses plans. Quant à Josyane, elle a acquis une certaine indépendance en travaillant à l’usine du coin. Elle y emballe le chocolat dans du papier alu (eh non, ce ne sont pas des marmottes qui font ce travail… et puis dans les prés, les vaches ne sont pas violettes). En été, Josyane prend des bains de soleil dans l’herbe en écoutant sur un tourne-disques ( ! ) les tubes de l’époque (le film date de 1979, je ne vous dit que ça). On sent bien évidemment la fin des années 70’ par les vêtements et coiffures. C’est typique en regardant Josyane qui, travaillant à la ville, cherche à suivre les tendances de la mode (chevelure façon Mireille Mathieu légèrement modernisée et pantalons pattes d’eph). Le seul qui la comprend vraiment, en fait ce n’est pas son mari, mais Luigi.


Bien que n’étant pas natif du coin, Luigi est celui vers qui les uns et les autres se tournent assez naturellement. Ainsi, c’est lui qui va indiquer à Pipe comment se servir de sa machine. L’apprentissage est lent et émaillé de nombreux gags. Autant dire qu’ils sont souvent assez téléphonés. N’empêche que tout cela est filmé avec un tel naturel que le spectateur rit de bon cœur. C’est probablement dû à l’attitude de Pipe, à la fois empoté, enthousiaste et curieux. Souvent balourd, Pipe est un timide à qui l’âge a tendance à ôter tous ses complexes. Il va jusqu’à dire son fait à son patron, négliger les horaires de travail, parcourir la campagne et viser les sommets, semer la zizanie dans un repas de mariage et devenir la vedette du jour lors d’un moto-cross.


Le réalisateur, Yves Yersin, a réalisé de nombreux documentaires pour la télévision. Cela se sent dans le ton de cette fiction, la seule qu’il ait réalisée (et produite, sur une durée de 5 ans), pour le cinéma. Un film contemplatif qui se mérite (2h20). Minutage démesuré ? Non, car il permet à Yves Yersin, en bon Suisse, de faire sentir la valeur du temps qui passe, thème essentiel ici. La ressortie en version restaurée permet de profiter pleinement d’un film rare qui, sans être un chef d’œuvre, fait passer un bon moment de cinéma avec des personnages qui sonnent juste et une peinture du milieu rural Suisse qui fait mouche. Eloge du temps de vivre qui invite à réfléchir sur ce que sont les vraies valeurs, celles qui occupent le cerveau d’un homme au soir de sa vie. Emouvant.

Electron
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le 10 janv. 2015

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