1 homme c'est peu pour 9 femmes...ou bien est-ce l'inverse ?

Alors que la Guerre de Sécession fait rage, Aimy une petite fille sudiste se promène dans les bois à la cueillette des champignons et découvre par hasard un caporal nordiste du nom de John McBurney (Clint Eastwood). Grièvement blessé et aux portes de la mort, elle l'aide à le ramener chez elle afin qu'on le soigne ; or il se trouve que la jeune fille vit dans un pensionnat pour jeune fille sans hommes, occupé par neuf femmes et jeunes filles et tenu par une dénommée Martha Farnswood (Géraldine Page).

Dès lors la présence d'un Nordiste au sein d'un pensionnat sudiste va semer le trouble au sein de la petite communauté ; mais encore plus c'est surtout la présence d'un homme au sein d'un pensionnat pour jeune fille qui va poser problème. Les voyant tiraillées entre la peur et la tentation le caporal va en effet se jouer d'elles et tour à tour tenter de les séduire.

D'après un roman de Thomas Cullinan, Les proies - au nom anglais plus subtil puisqu'à double sens « the Beguiled » (au choix le séduit ou les séduites)- film réalisé par Don Siegel marque le troisième des cinq films issus de la collaboration entre le réalisateur et la vedette du film, Clint Eastwood. De cette collaboration ce film en est sans doute le fruit le plus singulier s'insérant entre un western semi comique où Eastwood reprend plus ou moins son personnage de l'homme sans nom (Sierra Torride) et assurément le deuxième rôle le plus iconique de l'acteur à savoir L'inspecteur Harry.

Ce film n'est bien sûr pas un film policier et malgré son contexte au final plutôt secondaire ce n'est pas non plus un western ; non Les proies tient plus en réalité du thriller ou du huis-clos psychologique s'il fallait lui attribuer un genre bien précis. Toujours est-il qu'il me paraît assez différent du reste de la filmographie de l'acteur (pour le réalisateur je ne me permettrai pas de juger je n'en ai pas vu assez pour avoir un avis pertinent) et en particulier des rôles qu'il avait pu incarner jusqu'ici.

En effet en 1971 Clint Eastwood est essentiellement connu pour ses rôles de justicier taciturne dans des westerns, en tête de liste la cultissime trilogie du dollar réalisée par Sergio Leone. Ici, il incarne un personnage plus antipathique qu'à l'accoutumé, séducteur et séduisant, mais qu'on pourrait difficilement qualifier de héros, il est même par certains aspects davantage un antagoniste qu'un protagoniste, abusant de l'hospitalité et de la fragilité de ces jeunes femmes. Et dans ce rôle Clint est excellent et des plus crédibles, tantôt manipulateur, tantôt fou (surtout vers la fin du film), parvenant tout de même à nous faire avoir de la sympathie pour ce caporal, nous laissant penser qu'au final il est lui aussi victime de la situation, tenté malgré lui par toutes ses femmes qui l'entourent et qui lui font des avances.

Mais globalement le casting de ce film est excellent, Géraldine Page incarne avec perfection cette femme qui va elle aussi progressivement perdre le contrôle d'elle-même et de la situation. Au départ montrée comme une directrice autoritaire, mais juste, elle va progressivement se laisser attirer par cet homme lui évoquant ce qu'elle a pu vivre avec un amour passé (… à savoir son frère) pour au final sombrer, elle aussi, dans une sorte de folie vers la fin du film lorsque le caporal aura finalement préféré les charmes d'autres au sien, ne semblant pas accepter qu'il lui échappe.

Notons également le rôle d'Edwina incarnée par la dénommée Elizabeth Hartman, plutôt innocente et naïve c'est la plus vieille pensionnaire du haut de ses 22 ans et c'est elle que McBurney aimera réellement avec le plus de sincérité jusqu'à souhaiter se marier et s'installer avec elle, parvenant à le calmer dans sa colère et sa folie.

Les rôles plus secondaires ne sont également pas en reste de la jeune fille espiègle et joueuse se montrant des plus audacieuses et entreprenantes pour séduire le caporal (Jo Ann Haris/ Carol) à la servante noire, esclave, mais ne se plaignant pas de son sort et s'avérant être la plus déterminée à faire face aux menaces/avances du caporal (Mae Mercer/ Hallie).

Si le casting est un des points forts du film, la mise en scène/ la réalisation en est un autre. D'abord, il y a le tout début ainsi que la toute fin du film où l'image passe progressivement du noir et blanc ou sépia -évoquant des photographies de l'époque- à la couleur.

Mais je pense surtout à deux scènes très marquantes. Celle où Clint Eastwood se fait amputer la jambe, heureusement rien ne nous est directement montré et la caméra s'attarde bien davantage sur le visage du mutilé et des différentes filles participant à l'opération. Mais leurs grimaces, la tension globale qui ressort de la scène parvient à nous faire ressentir la douleur que ressent à ce moment-là McBurney et l'atrocité de la scène à laquelle elles sont toutes obligées d'assister avec une extrême justesse et on a mal, pour lui bien sûr, mais également pour elles.

La deuxième scène encore plus marquante est celle du rêve que fait la gouvernante où elle commence par fantasmer le caporal et à rêver d'une nuit d'amour avec lui, puis la scène vire progressivement en plan à trois jusqu'à représenter un tableau d'art. La scène est particulièrement troublante et révèle déjà cette folie qui habite le personnage de Martha, on y comprend la passion maladive refoulée qu'elle ressent pour le soldat et laisse sous-entendre que les actes qu'elle commettra à la fin du film pourrait relever au final que d'une jalousie maladive poussée à l'extrême. La façon dont la scène est montée avec cette succession de plan qui se superposent, à moitié transparents, cela renforce cet aspect de folie, de fièvre comme une maladie et de rêve intense et bien sûr gène, choque et trouble le spectateur.

Car enfin le film prend également un malin plaisir à aborder des thématiques plutôt choquantes et osées. Je parlais déjà de l'inceste entre la sœur et le frère un peu plus haut, puisque via des flash-back le film montre la réelle romance ayant existée entre les deux personnes, il est également question de viol via les menaces de McBurney et lorsqu'un autre flash-back laisse sous-entendre que le fameux frère aurait tenté d'abuser de la servante. Mais on pourrait également évoquer les termes de polygamie, pédophilie (certes en grossissant peut-être un peu les traits je l'admets).

"Les Proies" est donc un film singulier dans la carrière de Clint Eastwood et de sa collaboration avec Don Siegel, qui cherche à troubler et tromper le spectateur en abordant des sujets tabous et ce que la folie provenant d'un désir sexuel peut pousser à commettre, mais un film qui donnera aussi l'occasion à son acteur vedette d'étendre son jeu et de révéler un peu plus l'immense acteur qu'il est, dont la carrière et la longévité force aujourd'hui le respect.

RangDar
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le 26 juin 2022

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