Fermez les yeux et imaginer s’abattre sur vous une tornade en acier. C’est l’impression que laisse, à fleur de peau, cette intense fresque familiale signée par un Vincent Minelli dont les films ne cessent, à cette époque, de prendre une tournure profondément dramatique. Plantant son décor au sein d’une riche famille de propriétaires argentins s’apprêtant, en 1938, à se faire déchirer par la Seconde Guerre Mondiale, et après un premier quart d’heure autant furieux que mordant laissant présager seulement le pire, « Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse » nous embarque dans un récit consciencieux rondement mené par une intrigue ô combien excitante, nous emmenant avec la même dextérité et sans manichéisme au cœur de l’État-Major Nazi aussi bien que dans les profondeurs des réseaux de la Résistance ; le tout se construisant via le point de vue de Julio (étonnant et merveilleux Glenn Ford), personnage de playboy superficiel dont la frivolité mondaine se voit paralysée par l’Occupation. Adaptant ici le roman éponyme de Vincente Blasco Ibáñez, les scénaristes Robert Ardrey et John Gay fondent leur récit sur trois grands axes : historique, s’attardant sur la façon insidieuse avec laquelle la guerre et la politique divisent une famille, sur la restriction des libertés, la paranoïa ; un axe familial, exposant avec habilité les fragiles tissus sur lesquels reposent des relations principalement fondées sur des rapports de domination ; puis enfin, l’axe amoureux, évidemment celui au travers duquel Minelli expose le mieux son savoir-faire.
Il y a notamment cette scène où Glenn Ford et Ingrid Thulin marchent près de la Seine, la nuit. Alors que naissent leurs sentiments, apparaissent en arrière-plan, dans l’eau, les reflets des lumières de la ville. Baroque, ce Paris isolé par les étoiles parait d’emblée un refuge face à la tourmente de l’Histoire, embarquant de pair « Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse » dans une phase poétique marginale aboutissant doucement à la remarquable prise de conscience d’un personnage se retrouvant obligé de réfléchir sur sa condition. Dans ce noyau, Minelli trouve une force narrative exceptionnelle, bordant sous la même couette, avec une remarquable élégance, la guerre et la passion. Allant ainsi bien au-delà d’une chronique de l’Occupation sous un regard biblique, « Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse » nous glisse un souffle cinématographique pétaradant et étourdissant, invitant un personnage inachevé à explorer ses limites, au cœur d’un récit le suivant méticuleusement se faire assaillir par le monde extérieur. Entre angoisses existentielles, rétentions, passions et frivolités stratégiques, on retiendra ses apparitions stylisées des quatre cavaliers, quatre masses ténébreuses envahissant soudainement les perceptions, concentrant à eux seuls les peurs en rafales. Un film singulier et en tout point sublime, auquel on ne pourra reprocher que quelques facilités scénaristiques ainsi que certaines séquences-ersatz commençant et se terminant avec la même incompréhension, sans pour autant être incompatibles avec la légèreté apparente de notre progressif Julio. Le bonheur, cet artifice à l’odeur de soufre…