La sincérité de l'enfance se joue dans la tentative de ressembler aux adultes et de ne jamais y parvenir tout à fait.
Truffaut capture ça, une fausse naïveté. De la bouche des enfants qu'il filme ne sort ni la vérité ("elle est morte") , ni le mensonge, mais quelque chose d'autre. Une sorte de rapport vrai au mensonger. Plusieurs scènes en attestent : par exemple, la stupeur lors de la découverte de l'adultère (qui reste comme une pression : l'enfant décidera-t-il de dire la vérité ?) ou les explications données à la psychologue (rôle qui échoit indirectement au spectateur) censée établir un diagnostic, ne laissent qu'une impression profonde de franchise et de bon sens.
"La psychologue : Tes parents disent que tu mens tout le temps.
Antoine Doinel : Ben, j'mens, j'mens de temps en temps quoi… des fois je leur dirais des choses qui seraient la vérité ils me croiraient pas, alors je préfère dire des mensonges."
Le paradoxe du menteur est exploré : s'il dit "je mens" et qu'il est effectivement en train de mentir, alors il dit la vérité, auquel cas la phrase est fausse et s'il ne mentait pas quand il dit "je mens" alors sa phrase est de toute façon fausse, parce qu'elle est vraie. En conclusion : la parole de l'enfance provient bien d'un au-delà ou d'un en deçà du vrai et du faux.
Effectivement, il ment comme il respire. Mais la nature de son mensonge est une vérité qui ne trouve pas sa place chez lui ou à l'école. De tout cet ensemble de mondes, Antoine Doinel est d'emblée exclu. Même quand il se prête avec bonne volonté à être un élève studieux, l'entreprise se solde par un échec. Ses parents de leur côté "ont essayé", mais ne savent plus quoi en faire. Quand on lui demande pourquoi il n'aime pas sa mère, il répond littéralement "je m'suis aperçu que ma mère ne m'aimait pas tellement". Sa place au début du film n'est pas innocemment celle du coin : espace du non espace. Il n'en finira pas de pourfendre la position qui lui était assignée : la tête en bas ou le corps lancé à toute vitesse.
Truffaut se permet quelques extravagances: Bucéphale, Balzac brûlant et un album du routard égaré qui servira d'autres desseins. Mais le film fonctionne surtout par l'authenticité du jeu : c'est parce que les acteurs ne jouent pas qu'ils jouent si bien. Il acquiert aujourd'hui une valeur documentaire : vision d'un autre monde qui n'est plus. Et ses effets de lenteurs ne font qu'accroître le sentiment, littéral, d'un autre temps. Ça ne manque pas de charme.
Rapport vrai au mensonger en définitive, parce qu'Antoine Doinel mène sa vie en menteur seulement auprès des autres. Il décèle la fraude caractéristique des adultes, sans la condamner, sans même l'accuser. Que lui reste-t-il à faire alors ? Inventer son monde propre et courir dans sa direction toujours plus vite, en ne suivant rien que ses désirs. Un désir en particulier : Quatre-Cents Coups pour arracher la mer au royaume de l'inconnu.
Mais arrivé au quatre-centième coup, est-ce que la transgression perdure ? Le regard de Doinel croise le nôtre pour la première fois, et nous laisse demeurer avec la question. Une mince certitude s'en dégage : il vaut décidément mieux vivre avec des remords qu'avec des regrets.