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« Attention, ici on ne se gênera pas pour montrer des gens qui fument et de la nudité ». C'est par cette déclaration courageuse que commence Le secret de l'invisible. A. Peretjatko s'oppose ici brillamment au politiquement correct et au « wokisme » ambiant en affirmant simplement mais fermement : l'art c'est de l'art. Au générique, la nudité d'une statue grecque ne nous dérange pas, pourquoi devrait-il en être autrement dans un film ? Même chose plus tard lorsqu'il n'y a aucune gêne à montrer un chien habillé ou sans vêtements, à la limite, il lui est plus naturel de ne rien porter, non ? Semble-t-il nous dire naïvement en passant complètement à côté du fait que ce sont chaque fois des représentations bien différentes dans des contextes qui le sont tout autant.

Si l'on veut se distancier de l'éthique et ramener le nu à une portée seulement esthétique (et même, le féminisme du Portrait de la jeune fille en feu ne l'empêche nullement de montrer de la nudité), il faudrait peut-être éviter d'invoquer la politique aussi souvent. Le film se trahit lui-même en nous poussant à nous interroger sur l'éthique de la représentation du nu, puisque dès que l'on se rend compte de son male gaze, son propos tombe à l'eau. A quoi bon essayer d'humaniser les femmes filmées en leur donnant un visage quand la féminité n'est jamais présenté comme un caractère mélioratif. Lorsque l'employé de nettoyage de la ville est interrompu par deux jeunes filles qui demandent qu'on les arrose, on comprend l'opposition entre les vacancières et le travailleur, le détournement de l'outil dans une tentative de réappropriation bourgeoise et le ridicule que cela entraîne. Mais était-il nécessaire de sur-sexualiser ces deux jeunes filles ? Sont-elles plus ridicules à cause de cela ? Tout comme se moquer de Nicolas Sarkozy est amusant, mais pourquoi le faire en sous entendant qu'il est d'autant plus incompétent qu'on le considère comme « féminin » ?

Malgré cela, cette satire parisienne se moque de tout et ce, jamais sans humour, qu'il fasse mouche ou non, grâce au dispositif filmique mêlant effets cartoonesques, décalages absurdes, références aux cinéma classique et de la nouvelle-vague, dans une surenchère qui finit par se moquer du procédé même. C'est avec beaucoup d'auto-dérision qu'on nous raconte l'histoire de ces deux losers dont les agissements oscillent dangereusement entre le risible et le motif de plainte. Si elle est voulue, la gêne qu'ils instaure parfois est d'ailleurs d'autant plus prégnante qu'ils nous ont fait rire, même à leur dépends, quelque secondes auparavant. Naviguant entre les registres, le film réussit au milieu de toute sa clownerie à proposer quelque moments touchants, poétiques. Même « Joli Cœur », bien qu'essentialisée sous l'archétype de la femme qui joue avec le cœur des hommes, s'inscrit dans un beau moment de détachement par ce doigt en vue subjective qui semble incapable de se fixer, en suspend dans son choix.

Le film fait penser à une sorte de version universitaire et politique des productions qui fleurissent à la même époque et les années qui suivent sur internet, souvent inspirées des Nuls, jouant souvent avec une ironie basée sur une conscience premier degré du fait de filmer. Je suis certain d'avoir déjà vu chez John Rachid ou le Palmashow la blague du parterre floral idyllique finalement situé par un plan large au milieu d'une ville bruyante et goudronnée. De la même façon, le film n'a pas de mal à arracher des sourires voir des rires francs, on aimerai réellement l'apprécier pour toute ses qualités et potentiels. Il est seulement dommage que la moquerie centrale au film, celle du genre féminin et des normes qui y sont liées, soit celle qui finisse par se transformer en mépris.

RomainGautier1
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le 13 janv. 2024

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Romain Gautier

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