Une « éducation sentimentale », contemporaine et au féminin

Ils se multiplient, ces temps-ci, les réalisateurs hommes qui se penchent avec une réelle bienveillance et un réel désir de compréhension sur les vents qui régissent les destins et les choix d’héroïnes féminines lancées dans la quête du bonheur et de son accomplissement. Que l’on songe, également en Espagne, à Jonás Trueba, avec Eva en août (1 août 2019), ou bien, plus récemment, dans le contexte libanais, à Carlos Chahine et La Nuit du verre d’eau, sorti le 14 juin 2023.

Ici, Julia, incarnée par la lumineuse Anna Castillo, que l’on avait eu le plaisir de découvrir dans Viaje (2018), de Celia Rico Clavellino, est une jeune femme moderne, indépendante, déjà mère de deux enfants qu’elle élève seule, sans pour autant renoncer à une vie amoureuse. Non pas « cœur d’artichaut », selon l’amusante expression française, mais tête tournesol, comme le montre l’affiche, c’est-à-dire orientant et organisant sa vie selon les désirs de l’homme qu’elle s’est choisi pour soleil. 

« Une femme sous influence », en quelque sorte. Mais Jaime Rosales (2 janvier 1970, Barcelone -), également au scénario, où Bárbara Díez le seconde, relativise d’emblée cette « servitude volontaire » en la chapitrant : trois prénoms masculins vont successivement scander le film, annonçant simultanément un règne et son caractère transitoire. Trois chapitres, comme autant de vies, autant d’impasses ou de chances explorées.

Le premier, ancré à Barcelone et titré « Oscar », est placé sous le signe d’un homme séduisant mais habité par une violence qui ne demande qu’à exploser. Le magnétique Oriol Pia lui prête sa personne tout entière, entre charme et déraison. Lui succède « Marcos » (Ouim Avila), le père des deux enfants, qui entraîne cette fois la ductile Julia jusqu’à Melilla, enclave espagnole au nord du Maroc. Militaire, il exerce ses responsabilités dans ce métier avec sans doute plus de rigueur que dans celui de père. Il faudra attendre « Alex » (Luis Marquès), avec retour à Barcelone, pour que la relation, instruite par les précédents échecs, puisse s’approfondir et ne pas sombrer aux premiers écueils rencontrés.

Trois liens, trois climats, saisis avec sensibilité par la caméra d’Hélène Louvart, qui passe du clinquant attaché au premier lien, avec des couleurs vives, très espagnoles, à une palette bien plus douce et mesurée pour la dernière relation, bien plus posée jusque dans son chromatisme, en ayant transité par les ocres de la destination la plus lointaine.

Jaime Rosales explique avoir souhaité brosser un « portrait de femme », en même temps que celui de « trois typologies de masculinité ». A l’heure du post Me Too, et alors qu’un certain féminisme va jusqu’à prôner l’abstinence comme voie suprême vers la libération, il est bienfaisant de voir admise l’importance du lien jusque dans la part de dépendance que celui-ci peut générer, mais pour mieux aboutir à la liberté ultime qui consiste à s’être trouvé. Autre richesse du film : loin d’en rester au constat désespérant, imposé par les premiers liens, selon lequel aimer ne suffit pas pour qu’un amour survive, Jaime Rosales ménage une voie d’espoir, en créant une héroïne qui sait tirer profit de son expérience et apprendre des liens successifs qu’elle connaît pour faire de son existence une véritable « éducation sentimentale », moderne et au féminin, permettant ainsi au bonheur de trouver son point d’équilibre. Comme un cheminement vers la découverte des « liens qui libèrent »…



Critique également disponible sur Le Mag du Ciné :

https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/les-tournesols-sauvages-film-jaime-rosales-avis-10060819/

AnneSchneider
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Films où il est question de la paternité, frontalement ou latéralement.

Créée

le 25 juin 2023

Critique lue 571 fois

3 j'aime

2 commentaires

Anne Schneider

Écrit par

Critique lue 571 fois

3
2

D'autres avis sur Les Tournesols sauvages

Les Tournesols sauvages
Selenie
4

Critique de Les Tournesols sauvages par Selenie

Le film est scindé en plusieurs parties, suivant les trois prochains hommes qui vont entrer dans sa vie et la font évoluer. Soucis, d'emblée le premier homme est si cliché, le portrait parfait du...

le 16 août 2023

2 j'aime

Les Tournesols sauvages
Charles_Dubois
7

Critique de Les Tournesols sauvages par Charles Dubois

Julia est une nomade contemporaine, ballottée entre hommes (violents, lâches, dépassés, incertains), petits boulots, villes et désirs fugaces ou indéfinis, refoulés ou abandonnés face à la surcharge...

le 4 août 2023

1 j'aime

Les Tournesols sauvages
Mr_Purple
6

La fleur et les mouches

Oui, l’héroïne du film enchaîne les relations avec des hommes plus ou moins toxiques, ce dont on pourrait déduire qu’il s’agit là de faire le portrait dénonciateur de cette masculinité. Ce n’est là...

le 11 août 2023

1 j'aime

Du même critique

Petit Paysan
AnneSchneider
10

Un homme, ses bêtes et le mal

Le rêve inaugural dit tout, présentant le dormeur, Pierre (Swan Arlaud), s'éveillant dans le même espace, mi-étable, mi-chambre, que ses vaches, puis peinant à se frayer un passage entre leurs flancs...

le 17 août 2017

76 j'aime

33

Les Éblouis
AnneSchneider
8

La jeune fille et la secte

Sarah Suco est folle ! C’est du moins ce que l’on pourrait croire lorsque l’on voit la jeune femme débouler dans la salle, à la fin de la projection de son premier long-métrage, les lumières encore...

le 14 nov. 2019

73 j'aime

21

Ceux qui travaillent
AnneSchneider
8

Le travail, « aliénation » ou accomplissement ?

Marx a du moins gagné sur un point : toutes les foules, qu’elles se considèrent ou non comme marxistes, s’entendent à regarder le travail comme une « aliénation ». Les nazis ont achevé de favoriser...

le 26 août 2019

70 j'aime

3