Sans être un grand amateur de chanbara, je dois bien reconnaître avoir toujours eu un petit faible pour ce genre populaire qui n'est pas si éloigné du western que j'affectionne tant. Et s'il est difficile d'explorer les plaines arides de l'ouest américain sans croiser l'ombre de John Ford, il est tout aussi improbable de s'intéresser au film de sabre sans tomber un jour sur Hideo Gosha, maître absolu en la matière. Pour moi, le cinéma de Gosha s'était surtout les fameux "Goyokin" et "Hitokiri", des films sombres et racés, qui témoignent de la vision d'un cinéaste qui va bien au-delà du simple divertissement populaire. Et je dois dire que cette vision, on la retrouve déjà portée par son premier film, "Sambiki no Samurai". Coup d'essai, coup de maître, comme il est coutume de dire. Gosha fait preuve ici d'une maîtrise formelle tout à fait remarquable et distille avec talent ce qui sera sa marque de fabrique par la suite : à savoir son sens du cadrage, son regard sombre porté sur l'homme, ses interrogations sociales...


Pour son premier film, histoire sans doute de ne pas faire dans la demi-mesure, Gosha aborde de front la question de la lutte des classes. S'il n'est pas le premier à aborder ainsi la question sociale dans ce type de film, il est l'un de ceux qui vont porter haut et fort cette thématique au point d'en faire un cheval de bataille. Gosha, un cinéaste engagé ? En tout cas un homme de conviction et cela se voit à l'écran. Alors que traditionnellement le jidai-geki s'évertue de montrer une vision très romanesque du samouraï, Gosha, lui, explose un peu tout ça en plaçant au cœur de son histoire un rônin sans maître, symbole de l'esprit libre ! Bien sûr, à la vision de ce film, on pense tout de suite à Kurosawa qui avait déjà fort bien utilisé ce personnage de rônin ("Yojimbo") et qui avait également abordé le rapport entre les classes avec "Les sept samouraïs". Gosha marche ainsi sur les traces de l'Empereur en se réappropriant ses thèmes forts. Il va ainsi mettre à mal ce système féodal qui favorise une même classe de privilégiés au détriment du bas peuple. Il va fustiger cette injustice sociale qui voit une élite mépriser et écraser sans retenue la classe paysanne. Si le scénario manque un peu d'épaisseur et ne se montre guère original, la mise en scène de Gosha est, quant à elle, déjà bien incisive ! Difficile en effet de rester indifférent à un réquisitoire aussi bien construit : le verbe est cinglant, la mécanique est implacable, le cinéaste démonte sans ménagement une société profondément injuste et inhumaine ! Et il va sans dire, que pour lui, les maux d'hier sont les mêmes qu'aujourd'hui...


C'est à travers les personnages de ces rônins que Gosha va juger de la sorte cette société. Ces samouraïs sans maître agissent avant tout en suivant leur conviction propre, ne se mettant pas obligatoirement du côté du plus fort mais choisissant la cause qu'ils considèrent la plus juste ! C'est à travers le regard de Shiba que l'on prend conscience du sort misérable réservé aux paysans, c'est également à travers son œil que l'on observe le dégoût s'afficher sur le visage de la fille du seigneur local lorsqu'elle toise ces pauvres indigents. Mais Gosha nous montre que le problème ne se limite pas à la domination d'une classe envers une autre, le mal est bien plus profond et menace les fondements mêmes de la société. Le code d'honneur du samouraï n'existe plus, ces hommes sont corrompus par le pouvoir et utilisent leur fonction pour vivre grassement. Cette perte des valeurs est ici symbolisée par cette parole donnée mais qui ne vaut plus rien, comme si plus rien ne comptait dorénavant dans ce bas monde. Parallèlement à cela, Gosha en profite pour critiquer le manque de courage des paysans comme s'il voulait rajouter un peu plus de noirceur au tableau. D'ailleurs la noirceur omniprésente du film sera accentuée par l'utilisation du noir et blanc, et d'une mise en scène stylisée qui nous plonge au cœur d'un monde d'une rare violence : combats sanglants ou torture corporelle, rien ne nous sera épargné ! "Sambiki no Samurai" brille par son réalisme, histoire de nous faire ressentir un peu plus cette injustice qui frappe durement les classes sociales les plus basses.


Si l'ambiance du film est assez sombre, Gosha a le bon goût d'alléger son propos avec un peu d'humour, à travers le personnage de Kikyo, et de beaux sentiments comme avec la romance de Kyojuro Sakura. Le trio de samouraï fonctionne très bien (Leone s'en inspirera fortement pour "Il Buono, il Brutto, il Cattivo") même si on peut regretter des personnages aussi peu approfondis que les situations. Bon, ce premier film reste néanmoins une franche réussite, cynique et violent à souhait.

Procol-Harum
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le 1 août 2023

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