Colons, trappeurs, et folk horror en Amérique du Nord

Avery Crounse n'aura pas été l'homme de beaucoup de films, mais il est à peu près sûr qu'il avait quelque chose de radicalement "différent" à proposer au cinéma. "Eyes of Fire" n'est pas avare en maladresses et en ratages, pour beaucoup en lien avec des moyens de production limités (on peut l'imaginer en tous cas), et pourtant il parvient à maintenir une sensation d'intérêt permanent du début à la fin de son histoire, aussi bizarre, bariolée, obscure, et saugrenue qu'elle soit. Il investit totalement le registre de la folk horror au travers de son cadre, le milieu du XVIIe siècle sur le continent nord-américain, à l'époque de la colonisation de ces régions par les Européens, avant que la déclaration d'Indépendance des États-Unis ne soit proclamée. Un groupe de pionniers réunis autour de leur révérend est chassé de son village pour des raisons morales (on accuse le révérend d'adultère) et part explorer les forêts inhospitalières des environs dans l'espoir d'y établir une nouvelle colonie. Et ce sera le début des ennuis sérieux.

Sur ces territoires inexplorés, le groupe sera confrontés à des dangers de plus en plus importants et mystiques, d'abord à cause de la perturbation occasionnée sur les peuples Shawnees (indiens Chaouanons en français) qui montreront en réponse une hostilité variable, pour embrayer ensuite sur quelque chose de beaucoup moins tangible évoquant des puissances surnaturelles. Ils étaient pourtant prévenus, on leur avait fortement déconseillé de s'installer dans cette forêt que même les Indiens craignaient... Ils découvriront malgré eux l'ampleur de la malédiction qui hante cette terre isolée, avec de sombres histoires d'Amérindiens morts depuis bien longtemps.

C'est un film largement imparfait, qui avance de manière pas toujours harmonieuse pour dérouler son scénario et présenter ses personnages (le plus marquant étant probablement celui du trappeur interprété par Guy Boyd), mais il sait rester captivant par cette ambiance étrange et surnaturelle qui reste menaçante pendant un long moment — avant de déchaîner l'objet du maléfice au moyen d'effets spéciaux pas toujours à la hauteur et parfois carrément kitsch. Le personnage du pasteur, paumé en ces lieux, finit par se conformer à une image mélangeant le lieutenant Aguirre et le colonel Kurtz dans une version ratée, à mesure qu'un personnage féminin prenne une ampleur insoupçonnée. Dans son dernier tiers, "Eyes of Fire" met les bouchées doubles en matière d'horreur graphique (visage des esprits capturés incrustés dans l'écorce d'un grand arbre, âmes errantes couvertes de boue, danses païennes rougeoyantes, et divers combats chamaniques vraiment barrés), comme si la drogue avait soudainement été autorisée sur le tournage : l'effet produit est à double tranchant, le chaos qui en résulte oscillant entre absurde comique et hallucinations violentes.

Morrinson
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le 5 janv. 2024

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