Argenson, petite ville de province dans le Cher-et-Loir, en 1855, sous le règne de Napoléon III. Deux mondes s'y affrontent : d'un côté, la "Société", nobles, nantis, hauts fonctionnaires, groupés autour du préfet et de sa femme, Monsieur et Madame de La Jacquerie, avec le marquis de Longevialle pour porte-parole ; de l'autre, la "Boutique", commerçants, employés, petits fonctionnaires, représentés par la toute charmante jeune veuve, Zélie Fontaine. Celle-ci est l'amie d'Hortense, la belle préfète, au point de lui servir de boîte aux lettres. Elle reçoit donc tout le courrier amoureux adressé à Hortense par son soupirant François de Portal, un jeune avocat parisien qui intrigue pour être nommé substitut à Argenson à la place de Désiré Ledru, le protégé de Zélie. François prend son poste au moment où Hortense veut rompre et où débute le procès intenté par le marquis de Longevialle à Zélie, la maîtresse de poste d'Argenson, qu'il accuse de ne pas faire respecter les horaires de diligences...


Deuxième des quatre films à la suite que Claude Autant-Lara a tourné avec Odette Joyeux (dont les trois premiers pendant une tragédie appelée Occupation !), comme pour Le Mariage de Chiffon et Douce, c'est un film d'époque en costumes, sauf qu'ici ce n'est pas la Belle Époque des deux autres, mais un bond encore plus important dans le passé avec le Second Empire. Il est à signaler aussi que c'est le seul des quatre films où la comédienne principale ne joue pas une jeune fille encore dans la fleur de l'adolescence, mais une jeune femme, même une jeune veuve, donc accompagnée de la maturité et de la lucidité de caractère qui vont avec.


Comme on était avant Douce qui n'a rien d'une douceur, l'aspect critique sociale du réalisateur n'avait pas encore explosé avec la rage cinglante que l'on connaît (il y a une tendance à le réduire seulement à une vision antibourgeoise alors qu'il s'en prenait à tout le monde, sans exception !), mais il y a déjà quelques piques bien envoyées pour souligner le ridicule de ceux qui peuplent la société. Il faut bien dire que l'intrigue, accompagnée par les dialogues acidement fins du fidèle Jean Aurenche et par une distribution énergique, se prête très bien à cela.


Parmi les meilleurs moments, je citerai une "conversation" amusée de Napoléon III, faisant une courte apparition sous les traits de Jean Debucourt, avec un perroquet et surtout un Julien Carette à mourir de rire, en professeur de danse devant se faire passer pour un médecin aliéniste, victime des assauts des divers clans pour qu'il leur apprenne l'art du quadrille alors que lui ne pense qu'à dormir (il faut voir le film pour comprendre, mais je vous jure que c'est très drôle !).


Et le rythme est tellement soutenu et assez bien maîtrisé (ce qui ne sera pas toujours le cas chez Autant-Lara !) que l'on ne s'ennuie pas. Difficile de ne pas penser que Lettres d'amour, comédie aussi charmante et élégante qu'efficace, malheureusement tombée dans l'oubli depuis, a dû faire du bien aux spectateurs à un moment où ils en avaient bien besoin.

Plume231
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le 23 févr. 2021

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