Histoire d’un demi-rêve américain (…Et qui est finalement plus sexy que le rêve lui-même)

Il aura fallu qu’on me serve une pizza au réglisse pour qu’enfin je comprenne…
Alors certes, dire que je sois totalement hermétique au cinéma de Paul Thomas Anderson ce serait clairement un abus de langage (de lui j’avais notamment beaucoup apprécié Magnolia et There Will Be Blood), néanmoins c’est un fait qu’en parallèle j’ai plus que du mal avec quelques-uns de ses films qui ont eu le don de pas mal m’agacer ; The Master et Phantom Thread en tête…
Cette manière de faire piétiner ses histoires en affichant tout le temps la même chose de ses personnages et le fait de se complaire parfois dans un formalisme qui parfois semble s’auto-contempler sont autant de composantes du cinéma de « PTA » qui finissent toujours par me sortir par les trous de nez, au point que j’en nourrisse une véritable aigreur.
Le cinéma facile, ça m’énerve, surtout quand l’auteur concerné a du talent à revendre…
Mais désormais il y a donc cette Licorice Pizza pour compléter le tableau…
…Or je dois bien avouer qu’avec ce neuvième long-métrage, l’auteur californien a su m’offrir une déclinaison singulière de sa démarche ; déclinaison qui a su faire mouche.


Pourtant, au premier abord, il y avait dans cette Licorice Pizza tous les ingrédients de ce que je n’aime pas dans le cinéma de PTA : les premières scènes ne semblent exister que pour magnifier une époque révolue, une jeunesse révolue, voire presque une insolence révolue ; ou plutôt devrais-je dire une période où une certaine insolence – pour ne pas dire une certaine beauffitude – pouvait passer comme quelque-chose de cool…
…Ajoutons à cela que le film entend encore une fois parler de cinéma et/ou de création et il sera difficile de ne pas voir dans cette amorce de film le début d’une nouvelle œuvre essentiellement nombriliste.
…Sauf qu’en fait non.


Car plus cette Licorice Pizza avance-t-elle dans le temps que soudainement la démarche prend en fait une autre tournure.
Le sujet n’est finalement pas tant les années 70 que ça mais davantage ce qu’elles avaient d’étonnamment difformes.
D’un côté régnait l’innocence et la quiétude de vie quand de l’autre subsistaient mains au cul, puritanisme anti-homo et waterbeds. (Non mais des waterbeds quoi…)
Et alors que cette intrigue s’inscrit en plein cœur d’un grand tournant de l’histoire américaine, tout ce qu’on en verra au final ce sont juste des gens insouciants qui vendent des flippers en costume blanc et qui font des virées avec des camions qui dévalent les pentes en marche-arrière et sans essence.
D’ailleurs à bien tout prendre le film n’est fait que de ça ; de gens et de situations à chaque fois à cheval entre plusieurs standards. Ils ne correspondent pas aux standards de beauté auxquels on est habitué et pourtant je ne les ai pas trouvés moches. Ils sont tantôt mesquins, tantôt lâches, tantôt arrivistes, mais je ne les ai jamais vraiment considérés antipathiques. Quant à ce qui arrive à ces deux protagonistes, c’est au fond tout un ensemble de péripéties assez triviales et sans importance mais pour lesquelles je suis parvenu malgré tout à me prendre d’intérêt.


Ce sentiment m’est apparu parfois étrange mais d’un autre côté c’est celui qui semblait bien être au cœur des intentions de l’auteur : saisir cette difformité californienne ; dans cette réalité expurgée de tous les fards qu’on lui colle d’habitude et qu’on nous vend comme le rêve américain.
Car oui, l’Amérique au fond – même au sommet de sa gloire – ce n’était au fond pas vraiment l’idée qu’on s’en faisait. C’était un peu con, un peu absurde, un peu stupide, mais c’était beau malgré tout.
Oui c’était beau, mais il fallait juste apprendre à la trouver pour la voir.
Or pour Paul Thomas Anderson, elle n’était pas forcément dans le rêve vendu – celui de la célébrité, de l’entreprenariat ou du couple idéal – mais plutôt dans ce qui ne rentrait pas dans ce rêve.
Certes Gary n’est pas l’icône du boyfriend qu’on veut tous avoir – il est jeune, baratineur et un peu potelé – mais il se trouve sincère, entreprenant et un brin émerveillé par tout ce qui l’entoure ce qui le rend tout de suite beaucoup plus sympathique.
De même Alana est au fond une jeune-femme bien superficielle à qui il suffit d’envoyer un peu de poudre aux yeux pour que soudainement elle change son fusil d’épaule, mais d’un autre côté difficile de ne pas retrouver également chez elle les qualités sus-citées chez son homologue masculin.


Cet espèce de chassé-croisé amoureux de plus de deux heures n’est au fond que cette histoire là ; l’histoire d’une Amérique qui ne sait pas se contenter de ce qu’elle est – et de s’aimer pour ça – et de préférer à la place se laisser bercer par tous ses rêves qui sont censés lui rendre la vie meilleure.
Or l’air de rien, je trouve qu’il y a dans la mise-en-scène de Paul Thomas Anderson un vrai talent à retranscrire cette impression là : des péripéties qu’il ellipse avec brio pour sans cesse montrer cette capacité qu’ont les personnages de rebondir malgré leurs désillusion ; des lieux et des milieux qu’on enchaine histoire de désacraliser toutes les facettes du rêve américain (famille, entreprise, cinéma, star-system…) ; et tout cela se fait en permanence avec un sens de la tendresse qui est palpable dans tout ce qui est entrepris.
Ça se ressent dans cette lumière parfois agressive et mal gérée mais qui traduirait presque la générosité d’une époque parfois excessive et mal maitrisée. De même que ça se ressent aussi dans cette capacité a toujours flirter avec une certaine forme de ridicule mais sans jamais tomber dans la moquerie grossière.


Alors oui, au fond cette Licorice Pizza n’est que ça ; un assemblage d’ingrédients d’abord rebutants mais qui, malgré la trivialité du plat proposé, n’en reste pas moins une proposition saisissante sitôt l’effet de surprise est-il passé…
…Car au-delà même du sujet, il y a aussi dans le parti-pris de ce film un vrai questionnement esthétique… Ou pour être plus précis, ce film est parvenu à me questionner sur la question de l’esthétique au cinéma.
D’habitude dans le cinéma californien, tous les visages sont beaux et les situations sont idylliques, ce qui nous conduit à consommer un rêve qui fait certes voyager mais qu’on oublie tout aussitôt.
Là, dans Licorice Pizza, on nous refile des gueules atypiques et des personnages un brin triviaux mais ça marque davantage les esprits parce qu’il y a du caractère, du relief et de ma singularité.
Comme quoi, au cinéma comme partout ailleurs, mieux vaut un demi-rêve dont on sait nous révéler la beauté qu’un songe flamboyant dont la fadeur est au final vite oubliée…

lhomme-grenouille
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le 11 janv. 2022

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