Même s'il est de bon ton de critiquer le cinéma américain actuel, parfois a raison, il y demeure bon nombres d'auteurs dignes du plus grand intérêt et dont la carrière ne cesse de prendre de l'ampleur. Paul Thomas Anderson et quelques autres cinéastes font parti de cette catégorie, et il nous le prouve encore cette aujourd'hui avec ce qui est sans doute l'un des films Hollywoodiens les plus marquants de ces 5 dernières années.


Quittant les décors historiques de There Will Be Blood et Phantom Thread, PTA nous embarque pour sa Californie natale, délestant les entrepreneurs avides et autres couturiers psychorigides pour s'attarder sur une banale histoire d'amour de jeunesse (à ceci près qu'une dizaine d'années les sépare), dont les rôles sont campés par Cooper Alexander Hoffman (Gary Valentine) et Alana Haim (Alana Kane), tout deux débutant en tant que comédiens, ce qui n'est pas pour rendre plus hors-norme cette relation.


Et c'est là que tout l'art d'Anderson se révèle, en sachant faire d'un "petit" sujet une très grande histoire, en nous faisant ressentir cette courte période de vie comme une fresque historique. Tout d'abord, la caméra du cinéaste (par ailleurs également co-chef opérateur) capte les mouvements de ses personnages dans le cadre du Los Angeles des années 70 avec une grâce rare, que ce soit dès la scène d'introduction, avec un discret plan séquence nous plongeant dans le récit, à l'occasion des nombreuses déambulations des protagonistes dans la ville, ou dans des espaces plus refermés (un salon d'exposition et de ventes, la soirée d'ouverture d'un magasin). Ainsi, une choses pourra décontenancer certains spectateurs, à savoir la manière avec laquelle les différentes scènes sont -ou plutôt ne sont pas- reliées entre elle. En effet, l'histoire d'amour impossible en elle-même ne semble pas beaucoup passionner PTA (histoire dont le dénouement est de toute façon évident), ce dernier préférant mettre en scène de simples instants de cette relation, qui deviennent alors autant de parenthèses enchantées et hors du temps dans une Amérique sujette à bien des maux, lesquels sont d'ailleurs systématiquement incarnés par une figure adulte (bêtise, violence, homophobie). Cette manière de structurer la narration peut au début déstabiliser, la proximité entre les deux protagonistes semblant parfois faire d'immenses bons entre les scènes, pour brusquement reculer la scène d'après, mais c'est là que la radicalité du film s'exprime, en laissant au hors-film bon nombres de passages "obligés" de la comédie romantique adolescentes, afin de se focaliser sur des instants plus flottants, plus purs car moins contraints par un scénario qui demanderait aux scènes de cocher des cases pour faire avancer le récit. Néanmoins, ce serait être de mauvaise foi et accorder bien peu de crédit à PTA que de penser que rien ne cimente les différentes séquences de son long-métrage, car si le réalisateur veut se focaliser sur ses personnages, ce sont alors logiquement eux qui structure le récit, chaque scène se faisant l'écho émotionnel de la précédente dont l'impact sur le spectateur conditionne son appréhension du reste de l'histoire.


La scène qui illustre alors le mieux ce parti-pris est celle dans laquelle intervient Sean Penn, jouant un acteur vulgaire et idiot au possible, et faisant suite à une séquence terrible pour le personnage d'Alana (Haim) dont la relation avec Gary se montre alors très tendue. Mais, alors qu'Alana chute de la moto de Penn lorsque celui-ci voulait faire démonstration de ses talents de motard, Gary, inquiet, court la retrouver, semblant foncer contre la moto pour s'assurer que rien ne lui soit arrivé. Se met alors en place un instant comme magique: alors que tous acclament Sean Penn pour un acte pseudo-héroïque mais en réalité des plus risibles, les deux amoureux se retrouvent, la vrai histoire et le vrai grand moment restant à part, comme ce sera le cas jusqu'à la fin du film.


Dès lors, la démarche de PTA semble en un sens opposée à celle de Tarantino avec Once Upon a Time in Hollywood dans lequel un passé miraculeux est recréé, le temps d'un film, le cinéma faisant alors office de magie noire allant littéralement jusqu'à ramener les morts à la vie. Cependant, elle n'est pas non plus celle de Spielberg avec West Side Story dont le but était de critiquer notre époque en parlant d'une période révolue dont les séquelles demeurent. En fait, Anderson se situe dans un entre-deux étrange, se servant des décors des années 70 comme un support à son récit, un arrière-plan splendide au portrait qu'il dresse de ces deux (post-)adolescents, tout en étant conscient des dérives de cette période. Il oppose alors une jeunesse candide et pleine d'entrain que représente Valentine et sa bande de businessmen en herbe et la décadence d'un monde vicié que le réalisateur capte très de manière entièrement dépassionnée. Le récit devient alors le choix d'une place à prendre pour Alana, le choix entre l'étrangeté de sa relation avec un jeune garçon et une intégration dans un monde adulte se dans lequel elle va de déception en déception. La scène finale tranche alors radicalement la question et établit définitivement le positionnement d'Anderson sur son sujet.


Il serait également juste de revenir sur la lumière grandiose du film, par instant solaire (la crouse hors du commissariat), par instant plus chaude(le restaurant avec Sean Penn) ou plus sombre (la scène tendue du camion), mais qui n'est jamais tape-à-l'œil, ni ne prend le pas sur le récit, ou encore sur les acteurs, tous très bons et très juste, même dans des rôles qui auraient put provoqué plus d'extravagances (Bradley Cooper). Les deux acteurs principaux, débutants, sont bien sûrs superbement dirigés et tiennent sans peine tête aux plus établis. Enfin, le choix des musiques finit de nous emporter dans cette atmosphère d'un grand lyrisme, allant parfois jusqu'à totalement sublimer des scènes touchant à la perfection :Let Me Roll It de McCartney, la nuit, sur un lit à eau, dans le silence, loin des adultes, loin du monde, loin de tout.

Adarin
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le 16 janv. 2022

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