De toute évidence, le dernier PT Anderson n'atteint pas le degré de maîtrise et la puissance de Phantom thread. Licorice Pizza est un film bancal, un poil long et décousu. Mais je ne vais pas bouder mon plaisir, car je suis sorti assez ragaillardi de la séance. J'ai passé un excellent moment et j'ai ri souvent. Et en soi, il n'y a pas de mal à se faire du bien. D'autant que PT Anderson donne quelque chose à voir de beau et d'intelligent. En particulier, l'ambiance seventies est admirablement restituée à l'écran et les acteurs admirables.
Le dernier PTA est avant tout un magnifique hommage teinté de nostalgie à l'adolescence dans les seventies, cette décennie où tout paraissait possible : le sexe, la consommation, la réussite, le plaisir immédiat et surtout ... l'insouciance d'une génération dorée. Mais les nuages planent à l'horizon : la guerre du Vietnam, le choc pétrolier ou le sexisme ordinaire sont évoqués de manière quasi-subliminale mais l'on sent que l'insouciance des seventies n'est qu'une parenthèse enchantée qui prépare le retour de flamme réactionnaire des années 1980.
Dans Licorice Pizza, Anderson subvertit sagement les codes du teen movie hollywoodien. Lui, Gary (Cooper Hoffman), a 15 ans et a quelques rôles à son actif dans des séries ou des publicités. Rien de bien glorieux mais suffisamment pour donner à cet ado un peu grassouillet une confiance à toute épreuve. Elle, Alana (Alana Haim), a 10 ans de plus et végète dans la vie, en quête de l'amour et d'un sens à donner à son existence.
Il se met en tête qu'elle sera la femme de sa vie et tente de l'impressionner. Elle ne veut rien envisager d'autre qu'une relation d'amitié avec cet ado, mineur de surcroît, mais se laisse prendre au jeu et répond favorablement aux sollicitations de son prétendant, peut-être pour mieux échapper au carcan familial. De cette histoire d'amour impossible, qui oscille entre la camaraderie et la séduction adolescente, les protagonistes vont dévoiler leur vraie nature. Gary n'est en réalité qu'un petit con primesautier et immature. Alana va se révéler à l'inverse talentueuse, intelligente et engagée. C'est elle qui a les clés de la réussite et un regard lucide sur le monde, pourtant elle accepte de jouer les seconds rôles dans les aventures foireuses de son camarade et se complait dans la régression infantile que lui propose Gary. Il veut voir ses seins, elle lui montrera ses seins... C'est tout.
Et puis tout s'emballe et prend un tour inattendu, dans la veine de Punch drunk love.
C'est l'occasion pour Anderson de nous livrer un portrait féroce de la société californienne et de la faune des petites stars hollywoodienne des années 1970, arrogantes et superficielles. Il en ressort quelques scènes désopilantes et franchement réussies. En particulier, Sean Penn et Bradley Cooper incarnent à merveille la folie et l'hubris des célébrités de l'industrie cinématographique, portées sur l'alcool et enivrées par leur égo surdimensionné. Difficile de vraiment relier ces scènes avec l'intrigue principale mais cela ajoute une touche de folie et d'absurde qui participe de l'ambiance foutraque et franchement plaisante du film.
Certes, le film comporte des défauts. Les personnages secondaires incarnant l'entourage et la familles de Gary et Alana sont à peine esquissés, voire fantomatiques et ne permettent pas de rentrer pleinement dans leur univers. On a également du mal à comprendre comment Gary parvient à échapper à ce point à l'obligation scolaire et à la vigilance parentale ; ses parents sont d'ailleurs littéralement inexistants. La famille juive d'Alana prend un peu plus de relief (il s'agit d'ailleurs de la vraie famille de l'actrice) et les relations intra-familiales auraient mérité d'être davantage explorées. De plus, on aurait aimé savoir un peu plus sur la trajectoire de vie de ces deux teenagers, mais leur itinéraire sera finalement occulté au profit d'une histoire sentimentale dont on attend la happy end.
Licorice Pizza m'a vraiment fait penser à A serious man des frères Cohen. Cependant, alors que ces derniers avaient réussi à proposer magnifique évocation subjective et intime de l'adolescence dans les années 1970, PTA semble au contraire regarder ses personnages de loin sans véritablement nous permettre de pénétrer leur psyché. Dommage, car les deux protagonistes sont merveilleusement interprétés et l'on prend un plaisir à les voir évoluer dans la vie et dans le monde. Au crépuscule de l'insouciance.

Samfarg
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le 29 août 2022

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