Si Lifeboat est un film de propagande anti-nazi, Hitchcock se démarque très rapidement de toute forme de patriotisme aveugle pour signer une œuvre très personnelle. Lifeboat est donc un huit clos -la caméra ne quitte jamais le bateau- ou une poignée de survivants (leur bateau a été torpillé par un sous-marin ennemi, détruit à son tour), vont apprendre à survivre et à composer entre eux à bord d'un canot de sauvetage. Hitchcock commence par jouer avec les différences sociales entre les différents protagonistes, opposant la ravissante et classieuse Tallulah Bankhead à John Hodiak, le mécano tatoué. Davantage pour satisfaire un gimmick comique que par méchanceté, Hitchcock s'arrange pour la dépouiller peu à peu de tous ses signes extérieurs de richesse, du manteau de vison à son bracelet. Mais c'est la présence d'un nazi, seul rescapé du U-boat, qui bascule rapidement le film en drame psychologique et exacerbe les rapports de force. Et c'est là toute l'ambiguité du film ; ce nazi est plutôt érudit (il est polyglotte, ancien médecin), il connait parfaitement la navigation et semble être le seul capable de prendre les bonnes décisions. Il passe rapidement du statut de prisonnier de guerre à celui de capitaine de navire. Le paradoxe de cette situation est ce qui va le plus déranger la critique peu après la sortie du film en 44 alors que les premières projections du film étaient auréolées d'un certain enthousiasme. Et même si sous son apparente bonhomie (Walter Slezak, impeccable) se cache en fait un véritable félon (manipulateur et meurtrier), Hitchcock se doit d'opposer le bien au mal, le modèle démocratique à la barbarie nazie, il dépasse largement les consignes du cahier des charges : dénoncer les attaques de convois par les sous-marins allemands dans l'Atlantique. Comment lui reprocher d'avoir pris des libertés scénaristiques afin de réaliser bien plus qu'un film de propagande ? Au final, ce nazi a dupé tout le monde : il était bien le capitaine du sous-marin qui a ordonné la destruction du navire et des canots de sauvetage, il maitrise parfaitement l'anglais, il cachait des réserves d'eau et de nourritures et guide bien le canot vers un navire allemand. Mais pour ce dernier cas, pouvait-il en être autrement ? Ont-ils d'autres solutions pour survivre ? Probablement pas. Steinbeck qui a écrit l'histoire cherchera (en vain) à ne pas être mentionné comme scénariste du film pour échapper aux tracas de cette dualité. Bref, en plus d'entretenir le suspense jusqu'au bout, le film passionne surtout par un scénario qui privilégie davantage la psychologie à l'action. Pour la petite histoire, et sans spoiler, remarquons que Hitchcock parvient à apparaitre dans son film d'une bien curieuse façon, lui valant l'admiration de la gente féminine concernant un… régime miraculeux.
8,5/10