On a pu lire dans l'Express que « Le film d'Abbas Kiarostami est filmé de manière irréprochable, mais raconte trop peu de choses ». Cette phrase en dit long sur les attentes d'un public et d'une presse qui ne savent plus qu'écouter des histoires au lieu de les entendre. L'image est belle, c'est indéniable. Ceci est dû tant à la qualité plastique des lumières qu'à celle, plus charnelle, de Rin Takanashi. Le cinéaste nous pose quelque part et nous y oublie, dans un coin de la pièce, puis s'amuse à dérouler devant nos yeux une chorégraphie subtile et pour sûr minutieusement calculée, presque pour son seul plaisir, détruisant ainsi tout soucis de mécanique, car aussi travaillées soient-elles aucune scène ne sonne faux : on nous y invite, discrètement, à suivre les frémissement des êtres qui s'y trouvent. Certains parleront sans doute de longueurs, mais à bien des égards ce sont des longueurs humaines, naturelles, qui en cela ne nous laissent pas une seconde de répit. Il s'agit-là d'une observation scientifique de détails qui nous font hommes, et femmes. Cette jeune fille, tiraillée entre son patron, peu recommandable, son petit ami bien trop possessif et sa grand-mère qui l'attend devant la gare, n'a qu'un seul moyen d'exprimer son existence, son indépendance: se faire voir. Et c'est ce que Kiarostami lui offre. Nous passons plusieurs minutes à la contempler, en plan rapproché, elle-même regardant défiler la ville dans ce taxi qui l'emmène vers une destination qu'elle ne connait pas, contre son gré. C'est en notre regard qu'elle existe et qu'elle se fait maîtresse d'elle-même, avant d'endosser son rôle de joyeuse libertine.Reconnaissons aussi cette formidable capacité qu'on les acteurs du soleil levant à surjouer tout en n'explosant jamais. Je pense à ces films, merveilleux, qui affluent depuis quelques temps de Corée du Sud. De légères grimaces, des moues matelassées, et presque un aspect animal du corps. Pourtant, chaque émotion, chaque pensée, transparaît sans le moindre effort, sans la moindre fausse note. Le catalyseur de ce jeu si particulier est sans doute
l'humour. Il est constant, ténu, tendre et inventif. Je pense au jeu de Tadashi Okuno, qui a su mettre en valeur chaque imperfection de son corps pour faire à la fois rire et pleurer, sans aucune exagération. Nous le connaissons tous, ce bon vieux prof, et pourtant il reste énigmatique. Cette énigme berce le scénario, de bout en bout, et nous laisse sur une faim creuse et tenace. Comme il est étrange d'être satisfait d'une absence de réponse, parfois. Le choix d'Abbas Kiarostami de n'imposer ni thème, ni explications, lui permet de toucher une vérité de la vie : elle qui n'est ni homogène, ni explicite, mais seulement une suite de longues et interminables scènes, de rencontres, de rires et de désastres. Like Someone in Love est un morceau de vie, probablement l'un des plus beaux qui ai pu venir à l'esprit de son auteur pour raconter et tenter d'expliquer l'amour, et c'est cette absence de cadre dans des plans pourtant si longs qui fait son humanité, et toute sa richesse.
Raphaëlle_Marsa
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le 4 déc. 2013

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