Le film de Soi Cheang est précédé d’une réputation d’oeuvre noire qui n’est pas usurpée, on a rarement vu plus noire que ça. Tourné en noir et blanc dans une ville transformée en déchèterie géante, Limbo louche du côté de Seven au niveau de l’intrigue et du côté de Blade Runner et de Batman au niveau des décors. Voilà, vous êtes prévenus, ce n’est pas une partie de rigolade, on patauge dans les immondices avec deux flics très différents, l’un expérimenté mais usé jusqu’à la corde, l’autre, plus jeune, à cheval sur un règlement que son collègue méprise. Même si ça ressemble au duo Philippe Noiret-Thierry Lhermitte des Ripoux ne vous faites aucune illusion, ici on ne fait pas dans l’humour, même au second degré. On peut rajouter qu’il pleut une bonne moitié du film, ce qui ne rajoute rien de folichon à l’ensemble.
Petite cerise sanglante sur le gâteau : le tueur de femmes recherché par notre équipage boiteux, s’il n’a pas l’appétit d’Hannibal Lecter, sait toutefois jouer du sécateur avec virtuosité, talent provenant sans doute de ses origines japonaises. Le scénariste étant chinois, je présume que l’Empire du milieu et le Pays du soleil levant ont des comptes à régler, en tant que Français de base je dois dire que ces inimitiés ne m’intéressent guère surtout si le spectacle est au rendez-vous.
Anecdote amusante destinée à alléger l’atmosphère : dans sa version originale le film s’intitule Dent de sagesse, le jeune flic étant affligé tout au long de l’histoire par une douleur dentaire insoutenable. Inutile de vous dire qu’il n’aura pas besoin d’aller chez le dentiste.
Filmé par un virtuose de la caméra un peu fou, monté par un orfèvre du cutter totalement perché, interprété par des acteurs qui ont vraiment l’air de jouer leur vie, Limbo monte en puissance au fil des minutes et se termine par une dernière demi-heure apocalyptique où la violence des hommes et des éléments se déchaîne. Le spectateur groggy, enfermé durant deux heures dans une gigantesque benne à ordures, quitte la salle en pensant à la bonne douche qu’il prendra en rentrant chez lui, se jurant de ne jamais mettre les pieds à Hong-Kong.
Arthur Rimbaud a écrit, quelques années avant l’invention du cinéma : « Je me crois en enfer, donc j’y suis ». Si vous avez envie de passer deux heures en enfer, allez voir Limbo. Pensez à prendre un masque FFP 2 et votre K-Way, le coin est malsain.