L’habitacle ne fait pas le moine.

Locke fait partie de ces films sur lesquels on est en droit d’avoir de sérieux doutes avant même d’en commencer le visionnage : après Buried, le concept du huis clos à une personne dans un cercueil, place à sa variante, dans une voiture. Visuellement, le spectateur devra se contenter de Tom Hardy au volant, durant un trajet correspondant à peu de choses près à la durée du film.


S’il est une réussite que l’on peut concéder au projet, c’est bien celle de son écriture. Par le recours au bluetooth, le protagoniste va régler trois intrigues qui convergent sur cette nuit fatidique : l’arrivée massive de béton sur un site gigantesque le lendemain, et dont il a la charge, la naissance imminente de son enfant illégitime avec une aventure sans lendemain, et l’annonce de cette dernière à son épouse. La façon de tresser cette triple dynamique est efficace, d’autant qu’elle contribue à caractériser un personnage qui s’est mis en tête de tout gérer ; de ce fait, son trajet qui peut ressembler à une fuite, est plutôt celui, illusoire, d’un homme qui pense pouvoir assurer sur tous les fronts.


L’urgence de la situation, que ce soit sur le plan professionnel ou sentimental, est exploitée au profit d’un rythme qui parvient à ne jamais lasser le spectateur. Alternant entre les défis techniques ou administratifs de son entreprise, le choc vécu par son épouse et les attentes hors de propos de celle qui croit être sa maîtresse, Locke se scinde et gère. Les tentatives d’explication psy alourdissent certes le propos (lui-même abandonné à sa naissance, il ne peut le faire à ce nouveau bâtard), mais sont limités, notamment à des séquences un peu embarrassantes dans lesquelles le personnage parle à son père métaphoriquement placé dans son rétroviseur, sur la banquette arrière.


Car le problème à résoudre n’est évidemment pas simplement celui de l’écriture : Locke ferait une sympathique pièce de théâtre, voire une nouvelle de bonne facture. La question de la mise en scène se pose forcément, et accuse rapidement certaines limites. Dès le départ, ce jeu excessif sur la mise au point et les effets de flous des lumières de la ville nocturne atteste d’un formalisme un peu vain. La suite du film le confirmera : inféodé à son concept, Steven Knight tente de gérer comme son personnage, et croit bon de le faire en proposant un catalogue de toutes les prises de vues possibles, souvent sans propos aucun. On le comprend vite, il s’agit de maintenir l’intérêt et de tromper ce que pouvait avoir de claustrophobique ou d’angoissant un tel parti pris. Point de vue omniscient, caméra subjective, contre plongée depuis les roues, jeu sur les rétroviseurs, tout défile dans une sorte de combinatoire assez stérile ; loin de permettre une inventivité dans la mise en scène, le film semble répondre à une panique, celle de lasser. Cette alliance d’une écriture plutôt intelligente et d’une forme bavarde a un mérite : celle de questionner le propos d’une mise en scène. Où l’on comprendra que le mouvement, propre au cinéma, n’est jamais aussi pertinent que lorsqu’il est au service d’une pensée et d’une intention autre que celle de la diversion.

Sergent_Pepper
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le 14 déc. 2016

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Sergent_Pepper

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