L'étranger

Un Dejbel aride coincé entre le Sahara et ce qu'on appelait la côte de Barbarie.

Une petite école où les enfants viennent apprendre à écrire avant de repartir traire les chèvres.

Un portrait qu'on aimait bien se représenter dans les monographies de la France coloniale.

Vigo Mortensen incarne ici un instituteur qui fait vivre son école et vit dans celle-ci.

Deux pièces, un poêle, l'eau au puit et un tableau noir, un véritable hussard de la République, autre image d'Épinal chère à la République.

Oui mais voilà, en 1954, la révolte gronde, les arabes s'agitent depuis le massacre de Sétif et les anciens spahis qui ont défendu la mère patrie à Verdun et dans la Somme ont pris le maquis.

Se voyant confier la mission de livrer à la justice un arabe ayant tué son cousin dans une faide familiale, il se lance sur la route en plein amorçage des "événements" d'Algerie.

Film posé, qui a ses moments d'actions mais toujours dosés, il expose des personnages complexes dans des paysages magnifiques et ce un climat compliqué tout en nuances.

Les notions de gentils et de méchants se perdent. L'autochtonie elle même est remise en question: a partir de quand est-on de quelque part? A qui doit-on loyauté ? Comment faire quand on est vu comme un arabe par les français et comme un français par les arabes?

Le film vient appuyer sur une blessure mal cicatrisée en France et ce sans être trop frontal et bas de plafond.

On y voit autant la cruauté de la justice tribale que l'impitoyable justice coloniale.

On ressent autant l'arbitraire du FLN qui décide de qui est digne de confiance que la violence aveugle de l'armée qui tue des soldats qui se rendent, creusant ainsi sa propre tombe.

L'habileté va jusqu'à faire déambuler les personnages dans des ruines, probables traces de la conquête française, donnant une épaisseur historique appréciable au récit.

Les acteurs sont plutôt bons, Vigo Mortensen campant bien ces pieds noirs immergés dans l'arabité. Le travail sur les langues est vraiment top et créé une immersion saisissante tout en montrant bien cette fluidité propre à cette région et cette époque.

Non, franchement ça vaut le coup de voir cette pépite, d'autant plus si vous n'avez jamais vu Vigo Mortensen parler en français.