À quand un film sur le point de vue de Lolita ?

Un film qui ne manque pas de potentiel. L'esthétique est ravissante et dépeint à merveille une Amérique idéalisée des années 40-50, motels et ice cream soda au programme. Je ne reviendrai pas non plus sur le jeu des acteurs, eux aussi très convaincants.

Mais ce qui me chagrine particulièrement réside dans la nature du film : il est l'adaptation d'un livre (que je ne saurais trop vous recommander) dont on ne retrouve nullement l'horreur dans sa version cinématographique.

Lolita n'est pas l'histoire d'une jeune fille charmante et charmeuse tombant pour un homme trop âgé pour elle : c'est le récit d'un monstre, du pire genre d'homme que l'humanité puisse produire et de son obsession pour une enfant, au point d'en assassiner la mère.

Pour commencer, Dominique Swain est certes excellente, mais trop âgée pour la fillette de douze ans qu'est supposée être Lolita. Toute la mise en scène repose sur le jeu de séduction qu'elle se plaît à exercer sur Humbert Humbert : elle apparaît comme aguicheuse, presque lubrique, et tout à fait consciente de son comportement, lui faisant endosser en partie la responsabilité de ce qu'elle s'apprête à traverser (il suffit de regarder l'affiche du film). Le classique discours de "elle n'y est pas non plus pour rien". Or, détrompez-moi si je suis dans l'erreur, mais je doute qu'une enfant enjambant agilement un homme le fasse avec l'intention de le séduire.

Voilà le problème de ce film : il donne péniblement, douloureusement raison à Humbert Humbert, et s'inscrit dans la lignée de films tels The Crush qui se plaisent à perpétuer le cliché de l'adulte victime des machinations d'une jeune adolescente. Humbert Humbert paraît presque sympathique à divers moments. Par ailleurs, admettons que dans une réalité parallèle, ce film n'est pas l'adaptation de Nabokov ; admettons que Lolita se montre volontairement enjôleuse et séductrice. L'homme vers qui est adressé cette attitude reste malgré tout l'adulte de la situation, et a largement les moyens de déterminer ce qui est sain, et ce qui ne l'est pas.

Le grand intérêt du livre de Nabokov est que tout en adoptant le point de vue d'un pédophile, il ne fait que pénétrer dans sa psyché, sans pour autant présenter au lecteur une quelconque image de Lolita qui influencerait grandement notre jugement sur le personnage. Je reste convaincue que le film d'Adrian Lyne aurait pu adopter ce point de vue, tout en montrant une Lolita véritablement enfant et inconsciente du regard pervers que pourrait porter cet homme sur ses actions (ce qui serait un portrait véritablement neutre) : ainsi, nous aurions assisté à un portrait fidèle au livre, celui d'un personnage parfaitement abominable.

Finissons sur une touche positive : si je disais plus tôt qu'Humbert Humbert est en partie dédouané, sa culpabilité n'est pas questionnée. Certaines scènes réussissent ainsi à dépasser la sympathie du film pour le bourreau de l'enfant, et sont parfaitement insoutenables. Nous assistons douloureusement à la tragédie qu'est la vie de Lolita : à la fois celle du vol sans retour de son innocence, et celle de cette histoire condamnée à être incomprise et déformée, encore et encore.