Lost Highway est certainement l’emblème le plus fort de l’oeuvre de David Lynch et de ses deux mondes miroir.
Véritable oeuvre poétique aux forts accents de mystères, le film incarne les torpeurs schizophréniques dans lesquelles se noie son personnage principal.

Double de lui-même, Fred Madison représente à lui seul cette folie lui permettant de se perdre, dans une atmosphère des plus effrénée, sur la route de la raison. Véritable bandeau spatio-temporel, l’autoroute devient le chemin d’une quête vers l’essentiel de l’être, vers le moi de tout homme.
Rêvée ou vécue, la vie de Fred devient cette figure déconstruite chère à l’oeuvre de Lynch. Dédoublé, l’homme devient cette partie de lui-même qui lui échappe, conformément à ses désirs les plus fous... Bill Pullman (Fred Madison) comme Balthazar Gelly (Pete Dayton) qui incarnent le personnage masculin de Lost Hightway réussissent, par une interprétation toujours très juste et parfois inquiétante, à déconcerter le spectateur qui assiste impuissant à sa chute.

Renee et son double sensuel, Alice Wakefield, témoignent également d’une quête du désir pour le personnage principal. Personnalité dédoublée, tantôt froide et dure (Renee) tantôt charnelle et désirable (Alice), elle incarne la féminité sous ses divers aspects.
Loin de l’image maternelle de Blue Velvet, Renee/Alice incarnent la femme et l’objet de désir toujours inaccessible au mental masculin. Si les deux femmes se donnent, ce n’est jamais sans une certaine réserve, à l’image du dialogue qui intervient entre Pete et Alice venant de faire l’amour :
- “Je te veux”
- “Tu ne m’auras jamais.”

Les rapports entre les personnages Lynchéens ne sont jamais aisés. Dédoublés comme les personnages qui les incarnent, leurs sentiments se drapent de mystères.
A l’image du “petit bonhomme blanc” qui apparaît subitement à Fred Madison sur le visage de son épouse puis lors d’une soirée où, lui tendant un téléphone, il lui demande d’appeler chez lui pour vérifier sa présence là-bas...

Matérialisation charnelle d’une folie ou d’une schizophrénie pure, Lynch joue sur les mystères et les liens dévoilés au spectateurs n’apparaissent souvent que fictions irréelles.

Soutenue par une image nette et ciselée, le film baigne dans une atmosphère sombre où se multiplient les fondus au noir, les scènes de peurs retenues et de crispations lourdes.
Renfermant les plus noires angoisses de son réalisateur, le film devient dès lors un monde fascinant où se mêlent vie réelle, cauchemar psychédélique et allusions fantasmagoriques...

Fantastique objet d’étude, l’oeuvre de Lynch trouve sa dimension onirique, une fois de plus, dans le son. Extrêmement travaillé, il révèle l’état d’esprit des personnages et distille avec habileté l’angoisse dans une scène, comme le noir sur un tableau.

Oeuvre aux bruits sourds, elle dérange et fascine les sens... Comme l’illustre l’ouïe fine des deux protagonistes masculins de l’histoire (l’un pour la musique, l’autre pour la mécanique) le film s’incarne dans un univers au son lugubre et mystérieux.

Un film à la fois sombre et lumineux comme les deux faces d’un même monde.
Certainement la plus belle oeuvre de Lynch.

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le 14 sept. 2013

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