En seulement 4 films, Jeff Nichols s'est imposé comme un petit prodige, certains le qualifiant même comme le vrai héritier de Spielberg. Et il faut reconnaître qu'il y a quelque chose de commun dans leurs deux cinémas même si Nichols à réussi à s'émanciper de ses influences pour créer un style qui lui est propre. Après son exploration fascinante de la SF avec le controversé mais grandiose Midnight Special, il revient en à peine un an sur nos écran, ayant tourné Loving quasiment en même temps que son précédent film. Avec son 5ème long métrage, il signe pour la première fois une oeuvre qui ne provient pas d'une idée originale, étant une histoire vraie, celle du couple formé par Richard et Mildred Loving qui fut poursuivi par l'Etat d Virginie pour être allé à l'encontre d'une loi qui interdit le mariage interraciale.


Jeff Nichols s'attaque donc au biopic mais parvient à le faire de façon très personnelle, car même si le récit s'encre dans des faits réels il reste totalement imprégné de la patte de son auteur. Toutes ses thématiques y sont, que ce soit l'oppression sociale et culturelle ici représenté par le racisme ouvertement affiché de l'époque, la paranoïa à travers l'inquiétude constante de Richard Loving et ce regard si particulier sur la paternité, ici légèrement en retrait mais bien présent. De plus, Richard Loving est un héros dans la pure tradition de ce que nous a offert le cinéaste, à savoir bourru, direct et mue par une sensibilité introvertie. On est pleinement dans le cinéma de Nichols qui voit ici l'occasion de faire exploser la charge amoureuse souvent présente mais étouffé de ses précédents films, jamais il n'avait étudié aussi frontalement le couple. Il le fait ici avec une sobriété touchante, refusant de tomber dans un pathos larmoyant préférant l'économie émotionnelle. Un regard et quelques mots suffisent à se montrer bouleversants.


Sa narration se révèle d'une fluidité incroyable, retraçant un combat de 10 ans avec aisance évitant un rythme trop mécanique souvent de mise dans les biopics. Il évite tout académisme et impressionne dans sa façon d'amener les ellipses dans son récit sans provoquer une coupure dans son histoire. Histoire qu'il gère de manière intimiste, comme Richard, Nichols s'intéresse peu aux retombées politiques qu'a entraînée cette histoire, ce qui a son attention ici c'est comme cela à pu affecter le couple. Même si il est obligé de passer par la case juridique, et qu'il le fait avec beaucoup de respect, il l'étoffe pour mieux que l'on se recentre sur le parcours de la famille. Nichols semble fasciné par la noblesse de l'ignorance de Richard, homme dénué de tout racisme qui ne sait pas ce que cela implique d'être noir à cette époque. Le racisme étant quelque chose qu'il a du mal à concevoir car totalement irréaliste pour lui, et il découvre avec amertume un monde qui est loin d'être tolérant à l'égard de tous. C'est d'une certaine manière ce que Mildred aime chez lui, tout comme c'est une chose qui l'oppresse. Richard étant un homme qui n'agit pas, refuse de faire des vagues et préfère s'enterrer la tête dans le sable. Mildred, bien plus consciente de ce que sa couleur de peau signifie pour l'époque, et celle qui prend part aux événements et met en marche l'Histoire. Et c'est dans ce fonctionnement que le couple se révèle incroyablement émouvant, dans cette manière que chacun ont de se protéger et de se faire confiance de manière presque religieuse. La foi trouvant toujours une incarnation différente dans l'oeuvre de Nichols, et ici elle prend la forme d'une foi indéfectible entre deux êtres qui s'aiment profondément.


Incarné avec justesse par deux acteurs qui partagent une alchimie évident, le film doit beaucoup à son couple principal. Joel Edgerton offre une performance tout en retenue et se révèle comme dans Midnight Special en acteur sensible absolument déchirant. Nichols est probablement celui qui a réussi à tirer le plus de cet acteur, et Edgerton tient probablement ici son meilleur rôle grâce à la subtilité de son jeu et la force de ses regards. Quand à Ruth Negga, elle offre une prestation plus éclairée, son personnage laissant plus souvent entrevoir ses sentiments. L'actrice brille par la conviction qu'elle insuffle à son personnage même si elle se voit beaucoup plus limité par l'écriture. Son personnage étant plus classique dans son traitement et donc moins surprenant dans les émotions qu'elle traverse mais ça n'enlève rien à l'excellence de son jeu. Les acteurs secondaires sont très impliqués mais on restera marqué par le partenaire fétiche du cinéaste, Michael Shannon qui signe sa 5ème collaboration avec ce dernier. Même si il n'a que quelques minutes de présence à l'écran, il absorbe toute l'attention dans ce qui est le meilleur passage du film, et il est loin d'y être pour rien. Montrant encore une fois une nouvelle facette de son jeu, il se montre tantôt léger tantôt concerné apportant un vent de fraîcheur bienvenu. L'association entre Shannon et Nichols fait encore une fois des miracles.


La réalisation est impeccable, que ce soit par la photographie feutrée de Adam Stone ou les compositions inspirées de David Wingo, fidèles collaborateurs de Nichols qui enrobe superbement son style. La mise en scène de Jeff Nichols se marie parfaitement bien avec le récit, le cinéaste refusant d'en faire trop et épate par sa sobriété. C'est peut être d'ailleurs sa mise en scène la plus minimaliste en terme d'audace mais elle reste bourrée d'idées absolument géniales qui viennent apporter quelques fulgurances ici et là. Que ce soit dans sa manière de filmer le danger et l'urgence où dans ses habiles confrontations entre la vie en ville et celle à la campagne, il déploie un langage cinématographique impressionnant arrivant à donner corps à ses idées sans trop y insister. Donc même si elle n'a pas la force évocatrice de ses premiers films, elle reste admirablement pensée et travaillée pour sortir du tout venant de la production cinématographique indépendant US et offrir de très beaux moments de cinéma.


Loving est donc ce que Jeff Nichols à réalisé de plus accessible tout en parvenant à y insuffler la force de son cinéma. Même si in fine, c'est une oeuvre qui marquera moins les esprits que ses précédentes et qu'en cela elle peut décevoir les fans du bonhomme, on reste devant un très bon moment de cinéma. Sensible sans jamais tomber dans le pathos, le film impressionne par sa sobriété et sa justesse soutenu par un casting exemplaire et un langage cinématographique unique. Nichols digère ses influences et prouve avec ce 5ème film qu'il à développé un style qui lui est propre, confirmant son statut de jeune prodige. A l'aise avec différents genres, il s'attaque avec brio au biopic, refusant de tomber dans les codes du genre et fait de Loving une oeuvre qui mérite donc d'être vu.

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le 13 févr. 2017

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Flaw 70

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