Drôle de comédie, pas toujours efficace, souvent poussive même, mais remplie d'une singulière énergie : Low Cost est un film unique. On sait de Maurice Barthélémy qu'il a un style bien à lui, fidèle à une certaine mythologie de l'absurde qu'il a développé pendant des années avec sa troupe des Robins des bois, avant que celle-ci ne s'éclate dans toutes les directions. Pef parti sur les planches pour un triomphal Spamalot, Foïs promise aux grands drames cannois (les excellents Polisse, Darling, elle les porte presque sur ses épaules), Larnicol retraitée dans le Larzac (ou on ne nous a pas tout dit ?), il ne reste guère que... Rouve pour jouer avec Maurice Barthélémy. C'est donc l'un des rôles principaux de ce Low Cost, qui s'échine par tous les moyens, et parfois avec un réel succès, à retrouver l'esprit de la troupe tel qu'il s'est épanoui ces dix dernières années. C'est une comédie qui se déroule intégralement dans un avion, à la manière de ce que fera plus tard Almodovar avec ses Amants passagers. On y récupère des morceaux de la Tour Montparnasse infernale, de RRRRrrrr!, d'Astérix Mission Cléopâtre, même, aussi, de la Stratégie de l'échec, ce faux spot d'entreprise qui, à bien des égards, semble avoir servi d'inspiration pour Low Cost. Tous ces films ont en commun un sens de l'humour à la fois kamikaze et raffiné, faussement premier degré.
Low Cost joue les coincés, c'est sa première bonne idée, et aussi ce qui le condamnera aux yeux du plus grand nombre. Le rythme est constipé, les personnages sont tout rouges, de colère, de honte, de gêne, de désarroi. Maurice Barthélémy aime rire des petites personnes (au propre comme au figuré : il est lui-même de petite taille), mais sans s'en moquer : il met en avant chez eux des traits de caractères qui les rendent sympathiques, aimables, tout en étant profondément stupides. Beau pari que de situer l'essentiel du film dans un avion, où se concentrent toutes les classes sociales, tous les âges, où éructe et panique un échantillon de France que le cinéaste voudrait représentatif - et qui l'est, à de nombreux égards. Low Cost peut se prendre comme un Vol 93 (le drame de Paul Greengrass sur le 11 septembre) où la tension dramatique est remplacée par la tension humoristique. C'est très bizarre, le film est extrêmement tendu, stressé, comme s'il n'était pas sûr de là où il allait, qu'il avait peur du crash. Cela donne lieu à des scènes tout simplement excellentes, où les personnages épousent la réalisation un peu flippée de Barthélémy, enfermant le spectateur dans une bulle d'humour lunaire et malaisé. Toutes les scènes avec Rouve, notamment, sont proches du génie : l'acteur n'a jamais été aussi criant de vérité dans son registre de grand dadais hypocondriaque, sueur au front et bégaiement, phrases qui finissent en eau de boudin, rougissements compulsifs. L'un des running gags du film, où son personnage tente de masquer sa gêne quand il parle avec un nain, est tellement louche, inconfortable, qu'il en devient proprement hallucinant.
De manière générale, Low Cost tire parti de sa zone fermée et de son casting hétérogène et inspiré. Les rôles de François Bureloup et Blanche Gardin évoquent fortement PEF et Marina Foïs, tout en apportant une touche personnelle pas déplaisante. Le casting de seconds rôles tend d'ailleurs vers le très bon, vers le très audacieux, avec Bureloup et Gardin donc (la hippie hystérique incroyablement bien croquée), avec Anne Benoît aussi, actrice ordinairement dramatique, Vincent Lacoste, Philippe Vieux, et, pour les plus fins connaisseurs, Edith Le Merdy, mégère franchouille qui campait à la perfection le premier rôle du mythique court-métrage "Quand on est amoureux, c'est merveilleux" de Du Welz et Debie. Tout ça fonctionne plutôt bien, malgré des scènes de panique outrées qui font un peu pitié et où l'on sent que Barthélémy se laisse un peu dépasser par cette horde d'acteurs à gérer en même temps. Et puis : aux côtés de Rouve, il y a Godrèche et Darmon, incroyablement inspirés eux aussi, et tout particulièrement Darmon, qui n'a jamais été très drôle et prouve enfin ce dont il est capable. Barthélémy joue à merveille de la voix de ses acteurs aussi, avec l'éternelle constipation orale de Rouve, le rire tonitruant et attardé de Darmon (l'un des sketches les plus drôles et les plus bizarres du film).
On pourrait tirer sur l'ambulance, pointer une foule de séquences mal filmées, d'autres mal jouées, certaines cumulant ces deux tares. Même le scénario n'est pas sans invraisemblances, la résolution finale n'ayant absolument ni queue ni tête et demeurant beaucoup trop sage. Certains gags, aussi, sont si singuliers, poussent si loin l'absurde cher aux Robins des bois des origines, qu'on aura parfois du mal à en rire (le passager de Sablé-sur-Sarthe). On voudrait parfois pouvoir se mettre dans la tête de Maurice Barthélémy, qui un instant réussit à capturer et à mettre en scène une blague avec une perfection dans le timing qui laisse sidéré ; l'instant suivant, échoue à rendre crédible un simple dialogue de convenance. Il faut tolérer à Low Cost un paquet d'approximations. Ceux qui y parviendront pourront goûter à un humour régulièrement exquis, à la fois original et puissant, qui fait rire et étonne en même temps. Rouve et Darmon y livrent tous deux ceux qui pourrait bien être leurs meilleures performances de comique au cinéma : Barthélémy semble leur avoir taillé des rôles sur mesure, comme s'il avait très précisément capté et délimité ce qui faisait leur singularité, avec des sketchs vraiment bien écrits. Dans un paysage de comédie française où Eric et Ramzy ont le quasi-monopole de l'originalité, il faut dire que Low Cost fait souffler un certain vent de fraîcheur ; restent bien quelques relents nauséabonds, certes, vestiges d'une époque où il suffisait d'avoir une star du rire pour déclencher le rire, mais Barthélémy est loin d'être un empoté, il possède de l'imagination, du cœur et, surtout, son propre style.
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