Les cinéastes Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval construisent depuis la fin des années 1980 une œuvre exigeante, radicale et polymorphe où s'interpénètrent des disciplines aussi diverses que l'art contemporain, la musique, le théâtre et bien sûr le cinéma. Leur trilogie dite des Temps Modernes, constituée par Paria, La Blessure et La Question humaine, est née suite à des rencontres avec des naufragés de la vie et des demandeurs d'asile africains. Elle a aussi pour but d'examiner au travers de propositions formelles les dysfonctionnements de nos sociétés modernes : émigration, grande pauvreté, système économique en déliquescence.

Aujourd'hui, c'est la jeunesse sans repères, aux prises avec une société policière et sécuritaire qui préoccupe les deux réalisateurs. Nourri de sociologie, revendiquant une démarche politique, le cinéma de Klotz et Perceval choisit pourtant de toujours développer une fiction pour s'emparer du réel. Low Life est une œuvre surprenante, malaisée, avec à la fois beaucoup de défauts, mais présentant par instants – trop rares et trop tardifs – des fulgurances qui font oublier les nombreux faux pas. Avec ce groupe de jeunes gens, beaux et ténébreux, tourmentés et révoltés, on trouvera évidemment quelques ressemblances avec ceux que Philippe Garrel mettait en scène, avec nostalgie et plus de réussite, dans Les Amants réguliers. Hélas, ici leurs déclamations sentencieuses et absconses, comme leurs poses romantiques et affectées, transpirent l'artifice et la prétention. Il est bien difficile de croire longtemps dans l'intérêt manifesté par les étudiants pour les sans-papiers qu'ils côtoient et tentent d'aider, tant très vite les émois amoureux et les interrogations faussement existentielles prennent le pas sur les valeurs d'engagement et de rébellion, proclamées à coups de tirades théâtrales mal récitées et de bonnes bouteilles très bien vidées. Les jeunes gens, au cheveu long et rebelle, ont bon goût, cultivent leur apparence et partagent de vastes appartements, certes peu meublés et offrant un savant désordre. L'agacement point rapidement et même la perplexité : quelles sont donc les intentions du duo ? Impossible de réellement les saisir, et à l'inverse on finit par éprouver un malaise tenace devant cette avalanche de caricatures, aussi bien du côté des grands adolescents désœuvrés, affichant avec morgue un nihilisme appliqué, que des clandestins africains, enfermés dans leurs pratiques presque folkloriques de vaudou et de grigri.

Il va donc falloir attendre que Low Life se resserre sur l'histoire d'amour entre Carmen et Hussain, un jeune poète afghan obligé de se terrer pour échapper à la police. Abandonnant, mais pas en totalité, les logorrhées pompeuses des jeunes interprètes, le film s'ancre davantage dans la description d'une histoire d'amour impossible et condamnée d'avance. Une histoire comme une mise en abyme, reproduisant presque à son corps défendant le carcan de contrôle et d'assujettissement auquel Hussain essaie d'échapper. Dans cet ultime, mais encore une fois, alangui développement, le film semble s'incarner davantage et se débarrasser des afféteries qui l'ont jusqu'alors sérieusement alourdi. Ce qui pourrait au final apparaître terriblement gênant et problématique, c'est que l'ambition de Low Life se retourne contre elle-même, rejetant dans la singerie et la naïveté presque confondante ce qu'il envisage de mettre en lumière, sinon dénoncer. L'expérience de Low Life se situe donc en définitive sur le registre du sensoriel et renvoie par la même occasion l'entreprise de constat, sinon de dénonciation, dans les limbes. Toujours est-il qu'elle ne possède jamais la force ni l'intransigeance des précédentes. À trop radicaliser et formaliser, Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval ôtent de leur ambitieux projet toute possibilité d'identification ou d'empathie, semblant prendre un soin malin à nous tenir à distance, ce qui nous chagrine sans doute le plus.
PatrickBraganti
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le 9 avr. 2012

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