Parmi le milieu aride et isolé d'un formidable nowhere, une plante résiste et affronte sa condition. Image finale d'un cactus sec, n'ayant plus rien à donner en apparence, qui toutefois refleurit. Image symbolique, bien sûr, répondant allégorique en quelque sorte comme dirait Starobinski, de ce vieillard au bord de la mort qui, en s'interrogeant sur lui-même et son être mortel, montre qu'il existe encore.
Fable philosophique donc, trouvant de nombreuses images visuelles pour appuyer sa réflexion, telles cette cafetière qui ne marque plus l'heure, se trouvant donc en dehors du temps, comme peut l'être le mort ou celui qui n'est pas encore né; ou bien, ce Eve's garden, paradis vert car artificiellement arrosé, qui s'oppose dans la grammaire du film, paradoxe syntaxique, au désert aussi rude, silencieux et vide que la mort; ou encore les réflexions engendrées par les mots croisés sur la question du réalisme, du présage (et, par conséquent, du destin), … . Tout ceci vu par le regard de Lucky, demi-fantôme errant encore malgré son âge très avancé parmi les vivants comme un défi aux lois du temps, éternel rebelle ne se nourrissant presque pas, fumant – même dans les lieux interdits -, buvant son cocktail quotidien, prenant de la marijuana, … . Touché donc par ce personnage sincèrement fragile, surtout dans la scène de la fête mexicaine où sa voix tremblante nous remue les tripes, le spectateur s'émeut, faiblit puis cède face à ce Lucky, faux solitaire qu'on voudrait adopter.
Néanmoins, il serait pertinent de mettre un instant de côté ces bons sentiments et de s'interroger sur la qualité objective du film, car tout n'est pas si beau qu'il ne le laisse paraître. Absence de scénario, mise en scène inexistante, piètre direction d'acteurs (même le grand – réalisateur - David Lynch y fait pâle figure), pathos virant souvent à la mièvrerie sentimentaliste, manque criant de vraisemblance (surtout dans les envolées métaphysiques du protagoniste), dialogues emphatiques trop solennels, … bref, autant de lacunes qu'à nos yeux le brave et émouvant Harry Dean Stanton sur ses frêles épaules ne parvient pas à combler. On ne gardera donc de Lucky que son souvenir attachant et la sagesse de son message.