Classicisme d'Ophüls sous le Troisième Reich

Encore une belle surprise chez Helmut Käutner, un des réalisateurs allemands les plus passionnants sous la dictature nazie (et après, aussi, mais dans une moindre mesure), qui investit à nouveau le registre de la romance dans "Lumière dans la nuit" (Romanze in Moll). Le récit s'appuie sur la nouvelle de Maupassant "Les Bijoux", et permet au réalisateur allemand de mettre en scène un drame amoureux totalement décorrélé de la propagande nationale, comme à son habitude. À la différence des deux autres magnifiques films qui sortiront avant la fin de la guerre "La Paloma" (Große Freiheit Nr. 7) et "Sous les ponts" (Unter den Brücken), celui-ci investissait, en 1943, un style qu'on croirait tout droit sorti de la carrière de Marcel Carné ou de Max Ophüls — les passerelles avec "Madame de..." (qui sortira 10 ans plus tard en 1953) sont abondantes.


Le mélodrame s'inscrit dans un classicisme aigu, que l'on croirait issu du cinéma français des années 30 ou des années 50 (pour les deux références citées précédemment), amorcé par une introduction qui prépare le terrain à un long flashback expliquant les conditions ayant poussé la protagoniste à se suicider dans son lit. Le film se déroule ainsi comme une enquête, en filigrane, de la part du mari endeuillé, qui cherche à comprendre comment sa femme a pu en arriver là. Les strates des non-dits s'effeuillent très progressivement, laissant apparaître des faiblesses, des mensonges, et un parcours marqué par l'infidélité et la tentative de rédemption.


En résulte un film à la photographie classique magnifique, et, chose qui ne laisse pas de surprendre, un drame d'une sensibilité et d'une délicatesse proprement effarantes au sein du cinéma du Troisième Reich — on ne sera toutefois pas surpris d'apprendre que Goebbels n'était pas un grand amateur du film, mais tout de même. Kautner dévoilait déjà la douceur de son trait à travers la destinée de Madeleine, prise dans l'étau d'un triangle amoureux, et soumise à une série de contraintes, de chantages et de cas de conscience particulièrement élégante.

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le 18 janv. 2022

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Morrinson

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