Machete fait pour moi partie de ces films qu'on a envie de défendre face à ses détracteurs, mais qu'on ne peut s'empêcher de dénigrer un peu si on en discute avec des fan absolus. Peut-être tout simplement parce que devant un objet si volontairement décalé, qui use jusqu'à la corde d'un effet de fort/da esthétique (cherchez pas je viens d'inventer l'expression, qu'on pourrait aussi expliquer ainsi : "je me moque sans me moquer d'un genre pré-existant dont je mets à mal les codes tout en les respectant mais pour mieux m'en éloigner, puisqu'à la fois je suis en plein dedans mais avec une perpétuelle distance ironique qui à force ne l'est plus"... ouf), on est à la fois frappé par tous les écueils qu'il évite d'un côté, et par le léger gout de vacuité qu'il en résulte pourtant de l'autre. Ou pour dire autrement : ça aurait pu être pire, mais ça aurait dû être mieux.

Voyons comment cela s'applique au nouvel opus de Rodriguez, qui s'est fait le spécialiste incontesté du fort/da esthétique.

- Si on le détaille, le film est surprenant car il refuse obstinément de tomber dans les pièges tendus : les personnages sont bien campés (bon, on n'est pas dans Dostoïevski non plus, hein, déconnons pas), les dialogues tombent juste (même si parfois c'est un peu bavard, tout le monde ne peut pas manier la logorrhée avec la dextérité de Quentin T), les bagarres calibrées au poil (vous n'ignorerez plus rien des 1001 façons de repeindre en rouge les murs du salon à l'aide d'un instrument affuté, voire pénétrant), et l'histoire générale soignée (même si un peu cousue de fil blanc). Rodriguez a le chic pour faire des parodies qui ne tombent pas dans le pastiche, sûrement parce qu'au fond il s'attache aux situations absurdes toujours traitées de plain pied, sans cynisme (repensons à l'effroyable "grand saut" des Frères Coen qui pourrait faire aimer n'importe quel Capra, même le plus gnangnan, à un trader de Breat Eston Ellis).

- Mais n'empêche : mises bout à bout, toutes ces scènes de bravoure composent un plat un peu fade, et en sortant de la salle, on a surtout l'impression d'avoir assisté à un exercice de style joliment (bon faut aimer le sang, hein) ficelé qui laisse sur sa faim. Une longue bande annonce d'1h45, d'un film qu'on ne voit jamais se dessiner vraiment. Il y avait une jubilation de potache dans Desperado ou Planete Terreur, qui semble avoir complètement disparu ici.

Moralité : un réalisateur, comme un cuisinier, ne devrait jamais suivre une recette à la lettre, c'est la meilleure façon pour que sa machine tourne bien, mais tourne à vide.
Chaiev
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le 7 déc. 2010

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Chaiev

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