Je regarde Mad Love in New-York des frères Safdie en 2020, soit après avoir vu Good Time au cinéma en 2017 et Uncut Gems sur Netflix durant le confinement. Ayant été particulièrement happée par les univers singuliers -bien que différents- de ces deux derniers films j'ai développé une attente quant à cet aspect de leur cinéma que je souhaite retrouver, désormais, dans chacune des œuvres des deux frères.
Avec Mad Love in New-York, je m'attendais à rebrousser chemin, à voir dans ce deuxième long-métrage réalisé ensemble les balbutiements d'un cinéma qui aurait évolué ensuite. A la place, je suis entrée dans une fable intimiste sous forme de romance de la rue compliquée, le tout sous le joug de la dépendance à la drogue. Et là encore, la bulle autour du film et moi s'est formée, au bout de quelques minutes à peine.


Habité par des visages pour la majorité inconnus du grand public bien qu'hypnotisants, le film montre un pan de la vie d'une bande d'amis vivant dans la rue, bloqués quelque part entre l'enfance et une vie d'adultes sans aucun repère solide -et n'en cherchant pas- soumis aux pulsions non sensées de l'addiction à l'héroïne... et de l'amour. Caleb Landry Jones -que j'avais d'ailleurs découvert dans Antiviral et dont le physique m'avait marquée- vient rejoindre ces gueules cassées et s'y intègre à merveille, sali, les traits débordants de rancune et de haine et les ongles noirs de saleté.


Le personnage principal, une jeune femme -interprétée par Arielle Holmes- aux traits fins et aux trous de piercings apparents, va et vient entre deux hommes, l'un qu'elle semble aimer réellement, l'autre lui apportant une attention plus grande, une certaine forme de confort ainsi qu'un accès plus facile à la drogue. Et les frères Safdie ne semblent pas vouloir la juger. Au contraire, leur regard bienveillant laisse glisser la caméra auprès d'elle, sans vraiment chercher à s'apitoyer sur son sort. Il l'accompagne. Contrairement à la majorité des habitants de cette immense ville, les réalisateurs regardent la jeune femme et ses amis droit dans les yeux, ils intègrent leur microcosme et les rendent visibles : leurs corps, leurs mots, leurs émotions, en bref, ce qui, comme chaque être, les meut chaque jour, et le spectateur se laisse embarquer dans le théâtre de leur quotidien de anti-héros.


J'ai cherché à comprendre à quel genre pouvait s'associer le film tant -une fois encore- j'ai été surprise de ne pas pouvoir le comparer complètement à d'autres films sur l'adolescence, la sexualité ou la drogue tels que peuvent les réaliser Alan Clarke, Larry Clark ou autre Gus Van Sant. C'est en farfouillant un peu que j'ai découvert la mouvance "Mumblecore" auquel il s'associe. Littéralement traduit par "Marmonnements du coeur", il semblerait que ce mouvement du cinéma américain indépendant se définisse par cette manière de raconter les sentiments de jeunes ayant entre vingt et trente ans, avec une production à petit budget, la présence de non-comédiens et une part d'improvisation aux dialogues.
Et ce que je vois dans ce film, c'est cette facilité de remplir ce qui paraît à première vue être le "rien" (quelle vie a-t-on vraiment quand on est dans la rue?) avec un "trop plein" (les histoires d'amour, de drogues, de liens entre les protagonistes qui cherchent sans cesse l'attention de l'Autre ou tout simplement de quoi subsister ?).


Impressionnant de simplicité et d'efficacité, Mad Love in New York se veut dramatique mais pas larmoyant, et nous épargne un commentaire moralisateur trop souvent présent dans le cinéma américain.

Juliefnt
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le 1 juil. 2020

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