Miller la pâtée
Mad max 2 m'a toujours semblé être Mad Max au carré, surement parce que je l'ai découvert en premier. J'ai beaucoup réévalué l'original depuis mais bref. Pourquoi ce film reste-t-il dans beaucoup de...
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le 18 avr. 2013
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George Miller a frappé plus fort qu'une suite raisonnable. Mad Max 2, connu aussi sous le titre The Road Warrior, surgit comme une charge : peu de discours, beaucoup de loi visuelle. C'est un cinéma de nerf, de gestes mécaniques, de plans qui frappent et qui chantent ; la mise en scène s'affirme comme une lame.
La narration choisit la simplicité apparente : un déplacement, une rencontre, une défense. Mais cette économie formelle n'est pas absence de pensée ; elle est une structure qui magnifie les motifs. Le désert, qui n'est jamais traité comme simple arrière-plan, conditionne la profondeur du cadre, aplatit parfois la perspective et concentre la lumière. Les cadrages favorisent l'horizontale : la route est une entaille, l'horizon une procession de silhouettes. La photographie module la profondeur de champ pour isoler les figures et accentuer la vulnérabilité des corps face à l'immensité.
Les poursuites font la loi du film. Elles sont montées comme des mouvements musicaux, alternant plans larges qui lisent l'architecture des engins et plans serrés qui restituent l'effort humain. Le montage privilégie la continuité géométrique et les raccords sur l'action plutôt que l'ornement gratuit. Cette clarté dans la construction de l'espace rend la lisibilité des trajectoires exemplaire. Le travail sonore participe pleinement de cette lisibilité : les moteurs prennent valeur de percussion, les craquements et les frottements deviennent ponctuations, et les silences, quand ils surviennent, pèsent comme des choix dramatiques.
Mel Gibson campe Max dans une économie d'expression peu commune. Il est un centre de gravité dont le silence pèse. Son jeu, musclé sans emphase, donne au personnage l'allure d'une statue en mouvement : figure abrégée, concentrée, où la moindre inflexion devient signifiante. Les seconds rôles, souvent archétypaux, ne sombrent pas dans la simple caricature parce que la mise en scène leur accorde des gestes précis et parce que la direction d'acteurs privilégie la vérité immédiate. L'archétype y fonctionne comme condensation symbolique plutôt que comme cliché paresseux.
Le film transforme la machine en destin. Les véhicules ne sont pas décoratifs ; ils sont prothèses sociales, symboles de pouvoir et d'identité. La direction artistique façonne un univers bricolé où la rouille, le cuir et la ferraille constituent un alphabet visuel cohérent. Les cadrages en plongée et contre-plongée, les travellings latéraux qui accompagnent les convois, tout cela compose une chorégraphie mécanique. Les collisions acquièrent une dimension presque sculpturale ; la violence y devient forme et non spectacle gratuit.
Sur le plan moral, Mad Max 2 interroge la survivance et la dette envers autrui. L'héroïsme n'est plus pure posture mais calcul instable entre intérêt propre et solidarité aléatoire. Max est un pragmatique heurté par des devoirs sporadiques d'empathie ; sa trajectoire incarne une éthique minimale mais réelle. Les dialogues sont rares et lapidaires. Ils fonctionnent comme ponctuations et laissent la charge sentimentale au geste, à la durée d'un plan et à la puissance d'une image.
La partition de Brian May participe de l'architecture du film. Plutôt que de surligner, la musique s'entrelace aux bruits moteurs et aux silences pour constituer un tissu rythmique. La photographie de Dean Semler, par l'usage du grand angle et la maîtrise des contre-jours, exagère la vitesse et sculpte les volumes. Le grain de la pellicule, la gestion des hautes lumières et des ombres dures donnent au film une texture presque tactile, une patine de poussière et d'acier qui inscrit physiquement l'univers dans l'écran.
La physicalité du film tient encore à ses moyens matériels. Avant l'ère numérique, Miller et son équipe forgent des séquences sur le métal : carrosseries tordues, pneus lacérés, pilotes exposés aux forces réelles. La chorégraphie des cascades est millimétrée ; on sent la main du cascadeur dans la vibration du cadre. Le mixage sonore transforme les bruits mécaniques en percussion, les moteurs deviennent battements, et la musique s'y greffe comme une résonance menaçante. Cette alliance d'artisanat et d'invention confère au film sa palpabilité et sa sauvagerie distincte.
Le montage, précis et organique, obéit à une logique physique. Il privilégie les coupes qui respectent la continuité du mouvement et les raccords sur l'intention plutôt que la virtuosité gratuite. C'est cette économie des moyens qui permet à Mad Max 2 d'être lisible au premier degré tout en offrant, au second, une richesse de motifs et de répétitions à analyser. La coordination des cascades, la précision du découpage et le positionnement des caméras témoignent d'une maîtrise technique qui épouse la radicalité esthétique.
Plus impressionnant encore, ce film a fixé une grammaire du post-apocalyptique. Quelques motifs reviennent et s'impriment : le masque, la traînée de poussière, la silhouette immobile devant l'horizon. Ces images sont devenues archétypes et ont profondément irrigué le cinéma d'action et la science-fiction. Mad Max 2 réinvente le road movie en faisant de la route un lieu de lutte et d'exaltation plutôt qu'une promesse de paysage.
Le film dégage une énergie virile, une sorte de testostérone cinématographique qui n'exclut pas la poésie. Sa robustesse formelle a inspiré des générations de cinéastes et continue d'imposer un code visuel à la fois rugueux et rigoureux.
Si l'on cède à la mesquinerie, on notera l'occasion manquée d'une voix féminine plus développée. Les figures féminines existent et rayonnent souvent par leur courage mais sont parfois cantonnées à des fonctions narratives utilitaires plutôt qu'à une subjectivité pleinement travaillée. La narration privilégie l'action et le schème collectif à l'intériorité individualisée, ce qui peut laisser certains, désireux d'une densité psychologique plus marquée, sur leur faim.
Malgré ces réserves, Mad Max 2 garde l'autorité d'un film forgé dans l'urgence et la maîtrise technique. La concordance des moyens et de la vision produit un artefact invincible. C'est un récit primitif dressé en architecture moderne : une machine filmique qui rugit, provoque et sublime la vitesse en poésie violente. La fureur esthétique qui traverse le film n'est jamais gratuite ; elle est pesée et construite, preuve que le spectaculaire peut être exigeant.
Il y a dans ce film une brutalité heureuse et une grâce d'acier. La rencontre laisse l'impression d'un coup porté à la poitrine, étourdi et exalté, convaincu que le cinéma peut encore frapper fort et juste. Mad Max 2 n'épargne rien et révèle tout. Il est force et forme, douleur et beauté complices.
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il y a 5 jours
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Mad max 2 m'a toujours semblé être Mad Max au carré, surement parce que je l'ai découvert en premier. J'ai beaucoup réévalué l'original depuis mais bref. Pourquoi ce film reste-t-il dans beaucoup de...
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le 18 avr. 2013
78 j'aime
6
Nous y voilà. Tout est perdu, donc tout est possible. Le monde qu’on laissait dans l’opus précédent, un vague futur inquiétant,devient un réel anarchique. Dans l’ouverture, Miller semble propose une...
le 21 nov. 2013
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[SanFelice révise ses classiques, volume 11 : http://www.senscritique.com/liste/San_Felice_revise_ses_classiques/504379 ] Comme beaucoup de ma génération, j'ai découvert la trilogie Mad Max par cet...
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le 1 août 2014
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Il y a des films qui ne se contentent pas de dérouler une intrigue ; ils font entendre un pouls, ils politisent le rythme. Une bataille après l’autre procède ainsi : il impose une cadence qui n’est...
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