Les chances de rater une adaptation de Madame Bovary sont nombreuses. Certaines sont plus excusables que d’autres. Qu’on ne parvienne à saisir l’essence profondément littéraire du roman de Flaubert en est une, car c’est probablement l’une des grandes limites de la transposition à l’écran d’un tel monument : que faire du style, que faire de la subtilité inimitable de l’auteur pour fustiger sans jamais sortir du bois la bêtise, les aspirations de la petite bourgeoisie de province et les médiocres rêves d’une prisonnière de la vie ? Chabrol lui-même s’était plus ou moins pris les pieds dans le tapis, et ce n’est pas Sophie Barthes qui va remettre les pendules à l’heure.


On pourrait dans un premier temps lui accorder le mérite de ne pas livrer une copie scolaire et de tenter de s’affranchir du modèle par quelques audaces : un changement de classe sociale, l’absence de l’enfant semblent redistribuer discrètement les cartes, tout comme la place démesurée que prend Lheureux et l’obsession d’Emma pour ses toilettes, occasionnant un véritable défilé de haute couture magnifié par une photographie de haute volée. Les étoffes sont chamarrées, et la course vers les dettes prend le pas sur toutes les autres problématiques. Homais, pourtant l’une des plus géniales inventions de Flaubert, n’est qu’un figurant, et toute la question du rapport à la littérature balayée en trois répliques, cédant le pas à une thématique consumériste.


On ne niera pas la qualité de la reconstitution historique, le travail sur les costumes et une certaine élégance de la mise en scène, mais tout cela est au service d’une telle pauvreté d’enjeux que le sentiment de gâchis l’emporte très vite.


Le coup de grâce est asséné dès la première scène, flash forward sur lequel on reviendra en épilogue, à savoir la mort d’Emma par empoisonnement. Sophie Barthes choisit de faire expirer son héroïne dans la forêt, seule, dans une superbe robe en accord avec les feuilles mortes qui font un lit harmonieux pour l’héroïne. Soit radicalement l’inverse du roman, où la protagoniste meurt entourée, ravagée par les conséquences physiologiques de l’arsenic, et privée de la fin romanesque dont elle avait rêvée, l’une des très grandes scènes du roman, contenant sa morale acide et d’une modernité fracassante.


Ici, la réalisatrice l’affirme avec inconscience ou courage, mais elle le hurle : elle n’a rien compris au roman.

Sergent_Pepper
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le 4 janv. 2016

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Sergent_Pepper

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