Sonné par le choc El Reino, qui confirmait le talent de son auteur après Que Dios nos perdone, je faisais rentrer Rodrigo Sorogoyen dans la liste des réalisateurs immanquables. Après le thriller bien noir et le survival bien politique, le cinéaste espagnol tente le drame intimiste.
Officieusement, les germes de Madre étaient déjà là, au cœur d'un court métrage tourné entre ses deux premiers longs. Mais on sent que les expérimentations à l'œuvre sur El Reino ont défini le style Sorogoyen. Plans-séquences dévastateurs, steadicam à satiété, rythme à la fois aérien et resserré ; la signature est reconnaissable et elle parafe (une nouvelle fois) le contrat qui la lie à son personnage.
Lors de son introduction (remarquable), on passe avec Elena d'un état à un autre alors que la situation se pose et implose, faisant passer foule d'émotions en l'espace de quelques minutes (voire quelques secondes). À partir de là, la caméra ne lâchera jamais son héroïne, nous faisant partager son quotidien et ses imprévus, captant les souffles de vie entre les (longs) moments de suspension qui ponctuent l'existence d'un être bloqué.
Une fois encore, le génie filmique de Sorogoyen est incontestable. Il rend l'identification à Elena immédiate avec une économie de mots et de plans, et offre bon nombre d'images à tomber par terre (clairement un des auteurs les plus visionnaires de ces dernières années). Si démonstration de force il y a, c'est son excellence à servir le récit qui la rend implacable. Le dispositif, mélangeant précision, chaos et ambigüité, n'est là qu'une porte ouverte sur l'âme meurtrie d'une mère dont le cœur se remet à battre au contact d'un adolescent qui pourrait être le sien. On pourrait choisir tant de mots pour vanter la prestation de Marta Nieto mais combien arriveraient à restituer son incroyable beauté ? Faites l'expérience, vous verrez.
Madre accuse cependant un petit ventre mou en milieu de parcours, comme si Sorogoyen avait eu grande peine à couper quelques moments de vie "maternelle" (et je le comprends) pour un peu trop précipiter son épilogue. Ce qui ne l'aura pas empêché de réussir un drame désarmant de sincérité et d'arracher quelques larmes pour cette mère à la sortie du purgatoire.