... ou des dangers de l'empathie et de l'amour du cinéma
Magic Magic a agi sur moi comme un coup d'enclume, ne laissant en moi que cette sensation viscérale d'avoir été prise au coeur par l'empathie spectatorielle si redoutée de l'analyste de cinéma. Celle-ci ne peut pas toujours etre évitée, la mise à distance se fait progressivement au fur et à mesure des visionnages. Reste que certains films font naître ces émotions fortes qui nous ont fait aimer le cinéma et vouloir en apprendre toujours plus et le consumer jusqu'à la moelle. Si la connaissance des rouages de la machine amène à la distance critique nécessaire, certains films nous font perdre cette mécanique. Magic Magic fait partie de ceux-là. Du moins, pour moi, dans tout ce que contient de personnel l'émotion face à l'objectivité relative de l'étude esthétique. Magic Magic est venu me toucher dans un terrain dépassant ma passion du cinéma, s'infiltrant jusqu'à l'intérieur, comme une boule au ventre. Celle de l'angoisse.
Car Magic Magic, sous ses abords naturalistes et familiers, regorge d'étrangetés nécessaires à la montée sourde de l'angoisse paranoïaque. C'est ce fait même qui donne au film sa dimension cathartique. A quiconque connait cet état de la crise d'angoisse ou à qui chercherait à la comprendre, Magic Magic envahit le corps et l'esprit de cette absurdité. Absurdité de la réaction excessive à une stimulation moindre. Celle qui vient réveiller le mal en profondeur. Un mal enfoui qui n'attendait que cette impulsion pour agir pleinement. Juno Temple interprète sans retenue et pourtant avec une belle justesse, la suffocation de l'angoisse jusqu'à sa complète hystérie. Sa paranoïa est communicative au point de de ne voir que les zones d'ombre parmi la lumière. Elle cherche à sortir de cette nuit noire, implacable où, seule, lui dans le lointain la confiance perdue. De l'absence de forme nait l'hallucination qui ne laisse voir que ce que filtre l'esprit.
Sebastián Silva installe une atmosphère particulière, propice à se poser la question de sa réalité. Très vite, il nous fait réaliser que ce sont dans les détails que se trouve le primordial. Plus que de laisser à la narration seule le soin de mettre en place l'angoisse, il la dissémine au travers d'images brutes. De la nature. De ces infimes détails, insignifiants qui créent l'esthétique mais plus encore qu'une simple recherche plastique, il s'agit là d'inquiéter le spectateur de rien, de la moindre parcelle d'existence. L'état paranoïque fait état de la plus petite chose, comme la nuit allonge les ombres et amplifie les bruits. Le personnage de Michael Cera est bien la preuve de ce qui est à l'oeuvre dans Magic Magic. Profitant de son physique poupon et joyeux, Sebastián Silva va en faire un personnage inquiétant de par sa bonne humeur imbécile qui va jusqu'au harcèlement, innocent si tant est que le mot convient. Lui, et les autres personnages de manière moindre, contribuent à resserrer l'étau de la paranoïa sur Juno Temple dont le personnage n'a pourtant rien d'attachant. Sebastián Silva montre une réalité du monde loin des personnages de cinéma à la perfection imaginaire.
Les personnages agacent, laissent mal à l'aise, dans une sorte de honte partagée semblable à celle qui existe alors qu'un autre tombe devant soi. Il n'y a rien d'enviable dans cette expédition insulaire à laquelle prend part ce petit groupe d'amis. Là encore, le terme n'est pas bon. Leur connaissance l'un de l'autre est infime, leurs liens ténus et la proximité obligatoire de leur séjour créent des inévitables tensions. Celles-ci accentuées par la sympathie du réalisateur pour le silence et la gêne qu'il génère. Le dialogue n'est pas fluide, ça ne coule pas de source, les personnages n'ont pas de "bon mot", leur méchanceté n'est pas absolue. Elle vient sournoisement s'insinuer comme celle de tout un chacun dans son intimité. Tout est finalement très "normal". Si la situation tourne mal, c'est à cause de ce condensé de détails et de la personnalité fragile du personnage de Juno Temple. Et c'est bien ce qui pose le plus de problème au spectateur, l'absence de raison, l'absence d'explication. Le néant de l'angoisse.