James Wan et moi, ça n'a jamais été une grande histoire d'amour.
Je n'ai, littéralement, jamais eu peur devant aucun de ses films d'horreur. Je vois ce qui devrait faire peur dans ceux-ci, je vois bien le travail de la mise en scène et respecte le travail du réalisateur sans le porter aux nues, mais rien à faire, je n'y arrive pas.
J'apprends la sortie de ce fameux Malignant qui ne génère en moi aucune envie.
Et puis ça papote sur Internet autour du film, et j'apprends qu'il serait si mauvais qu'il en devient drôle. Un genre de nanar horrifique à gros budget. J'y crois moyen mais je me dis pourquoi pas, on verra bien.
Si j'avais su.


Malignant est mauvais.
Haha, oui je sais je suis un grand humoriste.
J'en ai vu, des films d'horreur dans ma vie, mais jamais des comme Malignant, ce qui est quand même un sacré exploit dans un genre aussi sur-codifié. Et ça s'explique peut-être en partie par le fait que notre bon ami Wan a pété un câble sur le tournage. Et un gros. Le genre que si tu le pètes, tes fonctions cognitives principales se retrouvent HS.
Malignant est tout à la fois protéiforme et unilatéralement médiocre.


Je ne vais pas forcément m'acharner sur le cadavre décomposé qu'est le scénario du film (bon, après relecture, je lui ai refait le portrait façon Francis Bacon...), mais on a vraiment l'impression extrêmement persistante que ce que nous sommes en train de regarder n'était qu'un brouillon, un premier jet sur lequel Wan et ses 2 collaboratrices ont mis toutes leurs idées nées pendant un brainstorming un poil trop arrosé. Ça se ressent surtout dans le fait que le film se disperse magistralement dans tous les sens. Et je ne parle pas ici du climax qui nécessiterait un livre de 2000 pages entier pour en détailler les problèmes. Mais par exemple, il y a un moment dans le premier tiers du film où l'un des 2 inspecteurs va trouver une photo d'une gamine dans un dossier. Si vous êtes un minimum intelligents (niveau maternelle, environ), vous comprendrez immédiatement qu'il s'agit d'une photo de Madison enfant (je vous jure que ça ne fait pas un pli !). L'inspecteur donne la photo à l'un de ses collègues pour qu'il fasse un vieillissement numérique (ne me demandez pas pourquoi cette photo précisément et elle seule sachant qu'elle n'a rien de notable par rapport aux autres). 20 minutes plus tard, la photo vieillie apparait et, """"surprise !""""", c'est Madison et le film essaye de nous faire croire que c'est une grande révélation... A ce niveau-là, on n'est même plus dans les problèmes d'écriture, je crois très sincèrement que Wan et ses comparses n'ont jamais relu une seule fois ce qu'ils venaient d'écrire. C'est impossible d'atteindre un tel niveau d'absurdité même en le faisant exprès. Malignant, c'est le film qui a résolu le mystère scientifique de la division par zéro !
Et si ça n'était que ça, le problème du film...
Il y a d'abord un problème de ton. De temps en temps, juste après une scène horrifique ou dramatique, le réalisateur insère une petite blagounette, ou bien l'on va avoir l'un des deux flics qui va sortir une réplique tout droit sortie d'un buddy movie. C'est déstabilisant, mais on survit.
Mais il y a aussi un problème, disons, d'écriture des personnages. Le quatuor central, Madison, sa sœur et les policiers, n'a littéralement aucune caractérisation. Aucune forme de personnalité. Les deux policiers sont des clichés de vieux flics qui en ont bavé, la sœur est juste la sœur, et Madison est creuse comme pas permis. Donc difficile de s’inquiéter de leur sort, sachant qu'en plus le film force vraiment au chausse-pieds dans le récit une sous-intrigue sur le fait que Madison a été adoptée et n'a pas vraiment de famille et tout ça qui n'est exploitée que lorsque ça arrange le scénario.
Mais il y a également un problème de dialogues, surexplicatifs quand ça n'est pas nécessaire ou bien complétement à côté de la plaque. Il y a d'ailleurs une insistance vraiment clownesque du film sur les grosses phrases percutantes, comme ce fameux "Il est temps d'amputer ce cancer", répété ad nauseam, ou même ce fabuleux, incroyable, irrésistible : "Il est le diable !". Croyez-en mon expérience, quand un film d'horreur vous sort cette réplique et que le personnage concerné n'est pas effectivement le Diable, ça n'est jamais gage de qualité. Vous ne serez jamais entièrement un homme/une femme/autre si vous n'avez jamais entendu cette réplique une fois dans un film. Malignant vous dépucèlera façon Cénobite de Hellraiser.


Entre parenthèses, la musique ne fait elle aussi aucun sens : Electro, synthé, grosses caisses façon Hans Zimmer, certains morceaux sont en total décalage avec la scène sans que ça soit justifié. Donc en plus d'être aveugle et analphabète, Wan est sourd. Le thème principal, je vous le jure, a vraiment l'air de sortir d'un tout autre film.


Et cette impression ne sort d'ailleurs pas de nulle part, puisque le film lui-même ne semble jamais savoir ce qu'il est en train de faire. Il semble perdu entre le film de possession/fantôme, l'hommage au giallo (on en reparlera) et le film de baston (Ooooh oui, on en reparlera !). L'introduction a l'air de sortir d'un film de SF horrifique des années 80, le méchant en lui-même a des motivations aussi pétées que celui d'un Slasher,on a aussi du body-horror, du home-invasion,... Et tous ces éléments ne semblent jamais provenir d'un seul et même film, malgré le twist censé tout coller ensemble, la diversité des registres exploités par le film n'arrive jamais à être homogène. Et si vous me rétorquez que c'est totalement volontaire et que ce bon James met juste tous les potards à fond sans réfléchir, je vous répondrais que même dans ces films foutraques auxquels il rend hommage, on ne trouve pas des changements aussi brutaux et sortis de nulle part, on passe d'un genre à l'autre, mais c'est fait de manière logique avec une certaine constance dans la mise en scène et l'écriture. Malignant, la constance il l'a dépiautée et s'en est fait un abat-jour. Hommage d'accord, fait n'importe comment, pas question. Très honnêtement, la course-poursuite entre le flic et le tueur, j'ai vraiment cru que mon fichier VLC était bugué et contenait un second film. Le décorum de l'underground à base de grosses lumières multicolores puis les sous-bassements baignant dans une brume qu'on dirait sortie d'un film de la Hammer et qui nous ferait presque espérer un Peter Cushing en performance-capture sortant des répliques shakespeariennes, sans parler d'un magnifique plan entièrement en CGI du tueur puis du policier qui traversent des décombres (sans blague, qui s'est dit qu'ajouter ça dans le montage était une bonne idée ?), honnêtement si ça vous parait coller avec le reste du film, je vous invite à consulter au plus vite un neurologue, je crains que vous n'ayez un trouble cérébral et c'est le genre de choses à soigner au plus vite. M'enfin, vous me direz, vu que la petite Madison n'a jamais eu de suivi médical après ce qui lui est arrivé dans l'enfance parce que ça arrange le scénario, vous devriez bien vous en sortir vous aussi.


Ce qui m'amène à aborder la question du giallo, ce sous-genre italien à mi-chemin entre le polar, l'érotisme et l'horreur, célèbre pour avoir été l'antichambre du Slasher moderne et sa version plus sophistiquée, plus portée sur l’esthétisation du meurtre. Les meurtres de Malignant suivent les codes du genre : Tueur anonyme avec des gants de cuir et une arme blanche fétiche, jeux de lumière irréels et jubilation sadique de suivre la pauvre victime en train de se débattre vainement contre son agresseur. Je ne prétendrai pas être un expert en giallo, mais avec mon bagage Argento et quelques Fulci qui jouent avec ces codes dans des films d'horreur autres, on dira que j'en ai vu suffisamment pour pouvoir dire que Malignant n'est pas un bon giallo. Les scènes de meurtres sont bien trop expédiées, la plupart des mises à mort se font hors champs et il n'y a ni érotisme (foutu puritanisme américain !) ni travail notable sur la mise en scène. Et puis très honnêtement, je ne comprend pas vraiment pourquoi le tueur s'embête à mettre à mort ses victimes à l'arme blanche alors qu'il peut littéralement briser des os à mains nues. Quand tu exploites un genre mais que tu n'as aucune idée de quoi faire avec...


Mais en vérité, je pense que Wan a tout simplement eu une idée absolument géniale et unique dans l'histoire du cinéma : C'est à dire que ses scènes de meurtres ne sont pas plus esthétisées que ça, et le reste du film, au contraire, est un immense bordel cinématographique ! Il faut le voir filmer la pauvre Madison paniquée qui traverse toute sa maison en vus du dessus, suivant notre héroine passant de pièce en pièce comme les petits drones de Minority Report rendant eux-mêmes hommage à Hitchcock; ou bien nous refaire son gimmick d'épouvante où la menace n'arrive jamais de l'endroit où le spectateur s'y attend; et si ça ne vous suffit pas, peut-être serez-vous rassasiés par la montagne de travellings rotatifs autour d'un personnage qui ne servent à rien ! Je suis peut-être fermé d'esprit, mais à mon sens, sur-esthétiser un film d'horreur ne fait que souligner son artificialité, on passe plus de temps à observer les mouvements de caméra qu'à s'immerger dans l'histoire. Et autant vous dire qu'avec Malignant, déjà alourdi par une masse d'absurdités d'écriture de la taille de Jupiter, on est moins dans le train fantôme qu'à Disneyland. Du coup, on serait dans le train fantôme de Disneyland... Enfin bref...


Et c'est le moment où, pour mon plus grand bonheur, nous allons aborder le climax.
Attention, je tire à balles réelles.
Alors déjà, je pense que la plupart des gens auront ne serait-ce qu'une vague idée de la nature du tueur bien avant que le film ne nous le révèle avec la subtilité d'une classe de maternelle jetée dans un broyeur pour voitures. Mais surtout, vous n'êtes pas prêts. Je ne suis pas contre les ruptures de ton en elles-mêmes, ou bien les films qui jonglent entre plusieurs genres, mais là... Cette absurdité des actes des personnages, toute cette longue séquence dans le commissariat qui n'a strictement aucun sens et parait encore une fois sortie d'un autre film...
The Raid.
Je n'ai rien de plus à dire. Si vous avez vu le film, vous comprendrez et vous ricanerez sans doute avec moi d'un air complice. Et si vous ne l'avez pas vu, dites-vous que même si le voyage est ridicule, perclus d'incohérences et d'effets de mise en scène sous amphétamines, au moins ce climax vaut trèèèèèès largement la peine que vous vous infligiez le visionnage. Un objet filmique unique au monde, un immense dérapage qui essaye de nous faire croire qu'il est contrôlé mais qui ne fait pas illusion 2 minutes. Que le film jongle entre la série B, l'horreur et le grand spectacle ne me dérangerait pas si c'était fait avec un minimum de cohérence, mais ça n'est même pas le cas. L'introduction du film et son climax ont l'air de sortir respectivement d'une série B d'horreur et de The Raid, le premier tiers d'un film de James Wan et le second d'un mélange bâtard entre la version américaine de Ring et un Cronenberg période body-horror. Et si vous vous dites que ce que je viens de vous décrire n'a aucun sens, je n'ai qu'une seule chose à dire : "Ils ont pris de la drôgue, les créateurs ??!".
Et cette fin en mode "l'amour de la famille est plus fort que tout" qui ne marche absolument pas puisque ni Madison ni la sœur n'ont jamais été développées par le film et que le spectateur n'en aura absolument rien à cirer de leur sort, et la solution pour vaincre le tueur qui sort de nulle part, et cet espèce de happy ending forcé après qu'on ait assisté à un massacre en règles et que les personnages auront sans doute à en payer les conséquences... Et Wan qui promet qu'il pourrait faire des suites si le film marche...


Très honnêtement, j'espère que ça n'arrivera pas. Si suite il y a, j'ai peur que Wan apprenne de ses erreurs et qu'il en commette une nouvelle en faisant un film plus sage, plus cohérent, tout simplement écrit et pas mis en scène n'importe comment. En bref, qu'il fasse un bon film. Et il ne doit pas. Malignant n'est pas un bon film, très très loin de là, mais il arrive à être incroyable dans sa nullité.
C'est le film d'un réalisateur qui se permet absolument tout depuis qu'il a roulé sur le box-office et a officié autant dans l'horreur grand public que dans le blockbuster américain. Un des nouveaux rois du monde qui s'est dit qu'il allait mixer les deux en un seul métrage, sniffer 2-3 rails avant de commencer à tourner et nous jeter ce mutant difforme au visage comme un gamin fier d'avoir commis une grosse bêtise. Et vous admettrez qu'il faut être un esprit singulier pour produire une vision qui transcende à ce point le réel.
Malignant est unique, imprévisible. Sublime dans son horreur et horrible dans sa sublimité.
Malignant défit les règles narratives établies depuis la Poétique d'Aristote et leur préfère un sondage des abysses de l'imaginaire.
Malignant est comme sa caméra, il va dans tous les sens sans en avoir aucun, son regard perçant voit des choses qui nous échappent.
Malignant se joue de l'espace, du temps, il ouvre des perspectives nouvelles et effrayantes sur ce qui se trouve au-delà du champ des possibles du cinéma et de la pensée humaine. Et ce qu'il y a trouvé n'aurait jamais dû être contemplé par les fragiles yeux des mortels.
Je terminerai cette critique sur les mots d'un triste personnage et pourtant grand génie de la littérature du siècle passé :



Ce qui est, à mon sens, pure miséricorde en ce monde, c'est l'incapacité de l'esprit humain à mettre en corrélation tout ce qu'il renferme.
Nous vivons sur une île de placide ignorance, au sein des noirs océans de l'infini, et nous n'avons pas été destinés à de longs voyages.
Les sciences, dont chacune tend dans une direction particulière, ne nous ont pas fait trop de mal jusqu'à présent ; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons ; alors cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyions cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d'un nouvel âge de ténèbres.


Arkeniax
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le 13 oct. 2021

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