Un Superman estampillé Nolan (pour le meilleur du pire)
On était en droit d'attendre beaucoup de ce MAN OF STEEL, vendu comme le point de départ du projet JUSTICE LEAGUE. Voyant l'association entre Christopher Nolan et Zack Snyder, l'entreprise promettait, au moins, une certaine efficacité.
Hors, passé une exposition sur Krypton un poil long, nous voilà littéralement largué au milieu d'une mer ou un inconnu barbu va porter secours à une plate-forme pétrolière en péril. Quand ? Pourquoi ? Dans quel but ? Nous ne le savons pas, et ça va être le cas tout au long du premier tiers du film qui souffre littéralement d'un grave problème de narration. Un comble pour un blockbuster qui normalement se veut d'une linéarité affligeante. La faute principalement à un montage complètement désordonné où l'on passe du coq à l'âne, entre errance du personnage et flash-back désincarnés sur l'enfance. Aucune présentation des personnages n'a lieu, on a l'impression de prendre le film en court de route, voire carrément d'être violenté : poussé brutalement de séquences en séquences. Ces dernières sont littéralement hachées, comme si on avait coupé le début et la fin, pour n'en garder que le centre, le noyau. A l'instar d'une stratégie d'économie purement industrielle.
Se succèdent donc une multitude de saynètes, comme si l'on regardait une bande-annonce, dont nous comprenons à peine les enjeux et où l'on ne peut s'empêcher de tiquer : "mais qu'est ce qu'il fout là ?", "qu'est-ce qu'il se passe ?" etc. Tous les passages sur l'enfance, que l'on auraient souhaité en un seul et même bloc narratif sont dispatchés tout au long du récit et au pauvre Kevin Costner, promenant son regard triste et fatigué dans la poignée de plans qui lui sont réservés, de ne nous créer un minimum d'empathie émotionnelle et visuelle, uniquement par le biais de sa figure d'acteur, comme s'il avait été choisi uniquement pour cela, renforçant tristement son statut d'has been alors qu'on aurait aimé davantage, plus de présence et un message à transmettre comme le fit l'Oncle Ben (non pas le riz) pour Peter Parker/Spiderman.
Ajouter à cela des zooms intempestifs donnant presque la nausée et vous aurez une idée du montage littéralement épileptique et de l'expérience des plus désagréables de la première moitié. Tout va à fond la gomme (une norme de plus en plus flagrante à Hollywood, on ne peut que saluer par conséquent la lenteur du HOBBIT de Peter Jackson), et le sentiment (outre que le monteur a lâché les élastiques) que les exécutifs hollywoodiens étaient à côté, montre en main, ordonnant de couper quelques secondes par-ci, quelques minutes par-là pour réduire le temps du film. Et c'est parfois cette poignée de secondes qui manque pour conclure ou débuter une scène en bonne et dû forme. Résulte le sentiment d'être asphyxié, de ne jamais pouvoir reprendre son souffle. D'être véritablement noyé dans un flot d'informations, de son et d'images. C'est à ce demander si Snyder n'a pas voulu faire de l'expérimental.
La situation s'améliore néanmoins à l'arrivé du Général Zod sur Terre, obligeant l'action à se resituer et se concentrer. Néanmoins, les enjeux demeurent flous. En guise de McGuffin nous avons un Codex inséré dans les cellules de Superman (soit.) pouvant faire renaître Krypton. Seulement, son prétexte à l'action ne dure guère longtemps et son manque de rappel fait que le spectateur l'oublie totalement, voire s'en fout complètement. C'est comme si Nolan et Snyder partaient du principe que tout le monde connait Superman et son univers. Donc pas besoin de s'y éterniser on passe direct à l'action. En parlant du réalisateur, sa patte n'apparait absolument pas, pire encore, lorsque arrive le générique et que le nom de Snyder s'affiche on tilte soudain : "ah oui c'est vrai..." Estampillé (le moins bon de) Nolan et écrit par David S. Goyer (capable du meilleur comme du pire), MAN OF STEEL est sans âme, sans thématique propre. On pourra reprocher ce que l'on veut à Zack Snyder, il n'en demeure pas moins qu'il y a une logique dans sa filmographie, des thématiques et des idées visuelles récurrentes. Ici, rien. Que ce soit pour lui ou pour Nolan, le film fait littéralement tâche dans leur parcourt.
Si Michael Shannon en impose en némésis, on aurait aimé le personnage plus fouillé, comme tous les autres d'ailleurs. C'est d'autant plus rageant que les acteurs incarnent à merveille leurs personnages (enfin, disons plutôt qu'ils leur vont comme un gant - j'ai voulu faire une blague avec le slip, mais vu qu'il en a pas, c'est pas pareil). Henry Cavill est un Kal-El charismatique, tout comme Russel Crowe est un Jor-El à la hauteur. De son côté, Amy Adams se démène comme elle peut, et plutôt honorablement, dans le rôle de Lois Lane, ici transformée en greluche de service et qui souffre un brin du syndrome Mary-Jane, à savoir, passer son temps à être sauvée par le héros (même lui doit trouver ça chiant à la fin).
Les effets-spéciaux restent impressionnants et le dernier tiers est explosif mais on regrettera la platitude des scènes. Métropolis (encore tout un pan de la mythologie Superman qui nous est totalement écarté) est détruite, mais faute d'avoir eu une présentation de la ville et de ses habitants...on s'en branle. Zod pourrait aussi bien s'en prendre à Tombouctou qu'à Saint-Malo (la personne se reconnaîtra ;)) le résultat serait le même : on s'en fout. Et c'est presque le constat de tout le film. Une fois de plus c'est l'impression de prendre le train en cours de route. On ne peut s'extasier des scènes d'actions uniquement pour leurs caractères destructeurs et purement spectaculaires que pour leurs enjeux. Et en cela, AVENGERS était plus efficace.
Bonne nouvelle, pour la suite (on se consolera comme on peut), Nolan quitte son poste de producteur. On aura peut-être droit à un film moins vampirisé (ou moins saboté). Maintenant que le pire et l'introduction sont passés, gageons d'avoir enfin le film que l'on était en droit de réclamer. En attendant, nous reverrons le SUPERMAN de Richard Donner avec Christopher Reeves, qui bien que terriblement kitsch, n'avait pas perdu l'essentiel : nous raconter, comme il se devait, une histoire.