Mandingo
7.8
Mandingo

Film de Richard Fleischer (1975)

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Quelle carrière fascinante que celle de Richard Fleischer. Réalisateur protéiforme, celui-ci a officié dans tous les genres, démarrant dans les années 40 pour finir sa carrière à la fin des années 80. Ayant connu aussi bien l'ère classique, que le nouvel Hollywood et le cinéma des années Reagan, c'est donc à un très gros morceau que l'on s'attaque aujourd'hui.


Réalisateur extrêmement modeste dans sa façon de parler de son métier (contrairement à d'autres), il fait partie de ces cinéastes, à l'image d'un John Ford, qui se voyaient plus comme des honnêtes artisans que comme des artistes à part entières. Ce qu'il faut noter, c'est qu'il n'écrivait pas les scénarios des films qu'il tournait. Les producteurs faisaient appel à lui pour des commandes (qu’il sélectionnait quand même) dans lesquelles il essayait de mettre sa patte, faisant passer des idées en sous-texte par sa mise en scène. Un véritable contrebandier en somme, comme l'a plus tard défini Martin Scorsese dans son documentaire voyage à travers le cinéma américain.


Réalisateur de studio dans le sens le plus noble du terme, il tournera des films comme 20.000 lieues sous les mers, le voyage fantastique, les Vikings, Barabbas, l'Étrangleur de Boston en 68 et de Rillington Place en 71, Les flics ne dorment pas la nuit, Soleil vert et celui dont cette critique est l'objet : Mandingo, que l'on peut retrouver en Blu-ray dans la collection MAKE MY DAY! de Jean-Baptiste Thoret.


Celui-ci est une commande de Dino De Laurentis, véritable nabab d'Hollywood qui confia donc à Fleischer la réalisation de ce projet, sa seule exigence auprès du réalisateur étant qu'il y ait des scènes de sexes et de violences afin de mieux le vendre comme quelque chose de sulfureux. Le film sera un succès au box-office mais il se fera assassiner par la critique qui n’y verra qu’un film d’exploitation, trash et raciste de surcroit. Son caractère éminemment polémique pour l'époque le rendra donc totalement invisible durant de nombreuses années à tel point qu’il sera pendant longtemps considéré comme un Graal par de nombreux cinéphiles. Le film mettra un grand stop à la carrière de Fleischer, et va venir clore l’âge d’or de sa carrière.


Pour résumer, Mandingo nous place dans la vie d’une plantation en 1840, en Louisiane. Celle-ci est quelque peu en décrépitude et le propriétaire, Warren Maxwell souhaiterait que son fils, Hammond, se marie rapidement afin d’assurer une descendance. Il acceptera alors de se marier avec sa cousine, Blanche Maxwell. Seulement, cette relation ne se passera pas bien du fait de l'appétence d'Hammond pour les jeunes esclaves noires. Dans le même temps, il achètera un colosse mandingue, un esclave noir utiliser et entraîner pour les combats et dont il se passionnera pour sa puissance.


Mandingo constitue à ce jour le chef-d’œuvre du cinéma sur la question de l’esclavage. Sorte d’antithèse d’Autant en emporte le vent, il va nous donner à voir tout ce qui était caché et refoulé dans le film de Victor Flemming. Là où le sud des Etats-Unis était représenté de manière quasi nostalgique et élégiaque dans celui-ci et d'autres films ayant repris cette image, Mandingo nous montre un sud terne en pleine décrépitude, à rebours des photographies flamboyantes que l'on retrouvait habituellement. Il nous montre également de manière précise et dans toute sa cruauté, le fonctionnement du système esclavagiste et des plantations. En n’évitant aucunes questions qui fâche, il désintègre aussi de nombreux tabous, comme l'inceste, la pédophilie et les relations interraciales homme-femme mais également (et c'est une chose très rare) femme-homme et achève ainsi de déconstruire totalement l'image que l'on se faisait des états du sud à l'époque. En ce sens il est une date très importante dans l’histoire du cinéma et servira de modèle à des films comme le Django de Tarantino où le 12 Years a Slave de Steve McQueen.


Le film nous donne un rapport très particulier envers ses personnages, dans le sens ou bien qu'ils soient pour la plupart de véritables monstres (pour ce qui est des blancs), le métrage ne va pas aller contre eux. Là où un réalisateur lambda aurait appliqué une vision moralisatrice, ici Fleischer ne les juge à aucun moment et nous donne la possibilité de comprendre leurs comportements et leurs motivations. Ce sera particulièrement vrai pour le personnage de Hammond par qui vient l'identification dans le film. De là naît une grande ambivalence, car le film parvient à nous le rendre sympathique quand bien même il peut se comporter ouvertement de manière horrible.


Film mutilé, Fleischer affirme dans un entretien avec Stéphane Bourgoin que sa version dure 3h45. Les studios lui auraient donc coupé pas loin de 1h45 à l'époque et il reprochera au montage que l'on connaît d'avoir un côté trop commercial. Il n'empêche que la version présentée dans la collection de Thoret constitue la meilleure visible à l'heure l'actuelle et le film reste extrêmement bien tenu et parfaitement rythmé (peut-être du fait de ce montage resserré justement).


Voir la filmographie de Richard Fleischer, c’est en quelque sorte voire l’évolution du cinéma américain, autant dans sa technique que dans ses formes. Il fait partie de cette génération ayant débuté dans l’âge d’or et des rares à avoir réussi la mue vers le cinéma des années 70, au même titre que les Don Siegel, Robert Aldrich, Sam Peckinpah, John Huston et Robert Wise. On ne peut donc qu’encourager la découverte du reste de ses films, assez nombreux à être édités en blu-ray, que cela soit chez Carlotta ou Rimini par exemple.

Créée

le 11 janv. 2023

Modifiée

le 2 oct. 2022

Critique lue 26 fois

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