Avec la finesse et l’élégance qui le caractérisent, Xavier Giannoli signe le portrait tragi-comique d’une naïve magnifique en transposant dans la France des années 20 le destin de cette incroyable cantatrice américaine qui chantait affreusement faux. Après avoir abordé avec un incontestable talent le thème de l’usurpation (l’impeccable A l’origine) ou celui de la célébrité (Quand j’étais chanteur), il n’est pas surprenant que le réalisateur se soit intéressé à la vie de cette effroyable chanteuse convaincue d’avoir une voix en or. S’il n’est pas vraiment question de mettre en doute la bonne foi de Marguerite sur sa conviction d’être une formidable interprète, Giannoli dissèque avec une remarquable acuité le mensonge par omission de son entourage. Parce que lui révéler la terrible vérité signifierait se couper de son argent pour son cercle de soi-disant amis, ou parce que la duperie ayant tellement duré qu’affronter la réalité lui serait fatal, estiment ses proches, et en particulier son mari. Mais contrairement aux nombreux personnages qui gravitent autour de Marguerite, on ne rit jamais à ses dépens. Certes, ses envolées lyriques sont indéniablement comiques et parfois irrésistibles, mais Giannoli la filme avec beaucoup de tendresse et n’en fait jamais un personnage grotesque. D’elle, il laisse transparaître une passion et une conviction profondément touchante. Pour la musique, évidemment, mais surtout pour son homme. Car Marguerite est aussi en creux le portrait d’une grande amoureuse.
La construction chapitrée de la narration, plutôt maline, nous permet de progressivement lever le voile sur la personnalité de Marguerite. D’abord présentée avec beaucoup de légèreté et une moquerie bienveillante, on la découvre ensuite s’investir avec beaucoup d’abnégation et de passion dans la préparation de son récital. C’est sans doute le segment le plus drôle du film, le maître de chant campé par Michel Fau, brillant et hilarant, formant un duo décapant avec la cantatrice. Mais derrière l’humour débonnaire commence à percer une pointe d’inquiétude qui va se muer en une réelle tension dans la dernière partie du film. La jovialité initiale de Marguerite va progressivement naviguer vers plus de complexité et de douleurs enfouies, et l’émotion qu’on sentait nous gagner au fil des chapitres va finir par exploser dans un final déchirant.
Giannoli s’appuie sur une reconstitution solide, stylée et colorée, ancrée subtilement dans l’après-guerre, offrant ainsi un décor sophistiqué à son histoire. Sa mise en scène minutieuse et gracieuse évite soigneusement les longueurs, que la succession de récitals et de cours de chant auraient pu faire craindre. En variant les plans (une main, un œil, une partie de la bouche de Marguerite) et utilisant le champ-contrechamp pour capter les réactions sont auditoire, il parvient à contourner l’effet de répétition.
Mais le réalisateur peut aussi compter sur une actrice en état de grâce. Catherine Frot trouve ici sans doute son meilleur rôle. Certes, elle a rarement été dirigée avec autant de justesse (quelle perfection dans son chanter-faux!), mais son interprétation toute en nuance donne aussi un relief et une profondeur insoupçonnée à cette cantatrice ingénue. Elle y est magistrale aussi bien dans l’excentricité que dans la confusion, désarmante de candeur, épatante de drôlerie et bouleversante de fragilité.