Rêverie nauséabonde
Qu'est-ce à dire que de dire une telle chose que rêverie nauséabonde pour qualifier la vie et la vue sur sa vie d'un personnage?
La diva vit recluse, n'est-ce pas tout à fait paradoxal! Ce film m'a fait penser à Boulevard du Crépuscule où cette actrice isolée devenue demi-folle vit dans un landernau avec son majordome qui la conforte dans sa déréalisation (comme le mari de Marguerite). Dans Boulevard du Crépuscule, elle semi-vampirise un jeune beau journaliste en quête de rêve. Ici, elle n'a personne sur qui se reposer, elle ne fait que quémander un peu d'amour, en vain. L'isolement de Marguerite atteint un niveau horrifique qui permet à travers son itinéraire de comprendre presque quelque chose sur l'humain. Son isolement est pesant et dense et étant donné qu'elle s'illusionne sur celui-ci, elle est dépassée par l'isolement qui surplombe tout ce qu'elle vit. L'isolement sien semble se rattacher, être en connexion avec les mensonges de sa vie. Tout cela procure une sensation de nausée pour le spectateur.
On a une "cantatrice", une "chanteuse d'opéra", non, non, rien de tout cela... Une femme déchirée qui s'accroche à un rêve qui n'en est plus un vu qu'un rêve ne doit et ne peut être simplement que rêve, mais doit pour se déployer et être une construction, un fondement de la personne et non pas une trainée dans le vide, un fardeau et une agonie imperceptible, se rattacher au tissu du réel. Hors ici on tombe dans une rêverie puérile et stérile.
La fausseté de sa voix déchire le cœur. Je me sentais si gêné pendant le film, gêné pour elle, mais surtout gêné de ce que ce film signale sur les hommes... Elle est riche, baronne et mariée, soit. Tableau de rêve pour son temps, quelle profonde solitude toutefois. Tout ce qu'elle a, elle ne le possède pas, elle est loin de ses biens, loin des gens qui ne l'entoure pas, mais sont des figurants finalement qu'elle ne perçoit et eux de même. Elle est un objet pour son entourage, elle se rend objet par ailleurs. Le majordome la voit comme un objet artistique. Le mari la perçoit comme un porte-feuille et l'enferme pris de honte (honte de lui, d'elle ; de la monstruosité qui découle de leur union). Les dadas la voit comme la quintessence du laid, un sommet horrifique dont ils se délectent. Tous l'utilisent. Figure tragique qui arrive à quelque chose, à un moment, effort vain cependant. Une chute, une pénible chute sans rien au départ, pas de sol, pas de ciel, le gouffre.
Film profondément humain qui fait écho à ma lecture estivale et sombre de Tchekhov (la condition tragique et pathétique humaine qui ressort tellement ici). Elle est véritable dans son illusion me suis-je dit, pourquoi? Tout le monde lui ment, oui. Elle ne voit pas ce qui l'entoure et se crée un monde ; elle est de son monde, elle n'est pas d'ici. Elle veut être vu, à besoin du regard de l'autre pour tenter de se sauver, d'être entendue, d'être un sommet. Un narcissisme qui n'en est toutefois pas seulement un dans son entièreté (en tout cas qui ne se dissimule pas la douleur totalement). Un narcissisme qui ne cherche que l'approbation et l'amour, qui ne souhaite n'être qu'aimée (sans faire l'effort d'être aimant).
Figure tragique, figure aveugle, figure fermée au monde que cette Marguerite qui nous fait de la peine et nous rappelle (à l'extrême) les dangers de l'individu-roi.