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[Critique à lire après avoir vu le film]


Edit vient de perdre son mari. Sur le tarmac de l’aéroport on lui remet une urne, ce qui déjà raconte la distance entre les deux époux : elle n’a même pas pu assister à la crémation. En un parfait parallélisme, on voit Edit cheminer aux côtés d’une vieille femme en noir, sa mère (ou celle du défunt ?). Elle se rend au cimetière, l’urne est déposée dans un habitable scellé. Repart. Aucun mot n’a été prononcé, seuls les bruits de pas rythment cette entrée en matière.


La première parole sera pour un homme, qui rend hommage au grand docteur disparu. On apprendra un peu plus loin qu’il s’agissait d’un apparatchik du régime, détesté de la population. La caméra se déplace derrière la foule d’hommes massés là, capte les nuques. Aucune femme en dehors d’Edit.


Elle se retrouve chez elle, la caméra suit ses déambulations par de beaux travellings franchissant les parois, qui m’ont évoqué les scènes dans l’appartement du début du Mépris. Son plus jeune fils est là, on découvre sa chambre constellée de posters des Beatles. Ce qu’il met dans le mange-disque, face à sa grand-mère, c’est une version hongroise des quatre londoniens. Comme par miracle, la mère est apparue dans la chambre, elle aimerait que la musique cesse. La grand-mère ne pipe mot, elle n’est qu’une masse noire au premier plan.


Alors que le jeune fils est envoyé dans la maison de campagne du couple, son frère aîné István débarque. Sa mère ne l’a même pas prévenu de la mort de son père, ce qui en dit long sur leur éloignement. Normal, ce fils sera celui qui prend la défense de son père, celui qui entend préserver sa dignité. Il est accompagné de son amoureuse, Kati, qu’Edit rejeta naguère. Dès son arrivée, István colle aux murs de sa chambre de grandes photos du visage de Kati. Une façon de l’imposer. István entend reprendre l’autorité laissée vacante par le père disparu : on le verra ainsi mettre dehors les amies d’Edit venues récupérer des vêtements dont elle ne veut plus. Les face-à-face avec son fils sont toujours tendus, surtout lorsqu’ils ont lieu dans le bureau du docteur, auquel personne n’avait accès. Le tic tac assourdissant de la pendule est comme la présence fantomatique du sévère docteur, rappelant la règle : on peut pénétrer dans cet endroit, mais seulement pour un temps soigneusement compté, chichement accordé.


Puisque István et Kati s’installent ici, allant jusqu’à se câliner toutes portes ouvertes, autant céder cet appartement, où Edit de toute façon se sent mal, par légation. Mais István ne l’entend pas de cette oreille : à ses yeux, c’est manquer de respect à son père, et surtout reproduire le schéma de conflit dont il a souffert toute sa vie. Edit ne manifeste aucune tendresse envers son fils, elle organise à son nez et à sa barbe une très ironique réunion des amis et collègues du défunt, parmi lesquels son ancien amant. Elle invite chacun à choisir un livre dans la bibliothèque : Márta Mészáros filme cette horde partant comiquement à l’assaut de l’impressionnante collection. Seul son ancien amant reste, pour une franche discussion dans le bureau du docteur, toujours sous le tic tac qui instaure une tension. Edit est comme de l’eau qui coule entre les doigts, rien ne semble plus la motiver, si ce n’est tirer un trait sur son expérience conjugale ratée : elle dort, boit et fume, point. (On fume énormément dans Marie, ce qui a tendance à m’agacer, tant j’ai parfois l’impression que la cigarette permet aux acteurs de se donner une contenance… sans parler de la mythologie qu’entretient le cinéma autour de ce truc qui ne correspond tout de même, rappelons-le, qu’à une pulsion infantile…)


Pour István, ce n’est là qu’une crise d’hystérie, passagère. Il se veut protecteur, comme le fut son père (Edit lui dira en substance « c’est ce que m’a dit ton père toute ma vie »). Il glisse un somnifère dans le whisky Ballantine’s qu’on voit depuis le début se balader de pièce en pièce. Ce qui permet d’emmener Edit à la campagne, et donc de l’empêcher de faire une bêtise. La seconde partie commence, dans une superbe propriété bordée de vignes.


Sa chienne de garde n’est pas la fidèle Cilli mais Kati, l’amoureuse d’István, qui a écopé de cette mission : Edit est donc enfermée chez elle ! Son plus jeune fils, qui incarne l’insouciance de la jeunesse avec ses deux copines, a été mis à la porte. Edit veut rentrer à Budapest mais Kati tient bon, la porte est bouclée, elle ruse même en demandant à la voisine de nourrir la chienne, hostile envers la jeune femme. Edit, toujours, s’affirme (« je fais ce que je veux ») mais s’avère incapable de résister longtemps. Elle parviendra tout de même à sortir avec sa tante Margrit. Kati ne la lâche pas pour autant, la rejoint à un banquet où elle continue à boire, se met à chanter aussi, un air nostalgique, accompagnée par un trio tzigane. Edit ne veut pas repartir mais finit par y consentir, alors que Kati a rameuté de l’aide.


Pendant ce temps, le jeune fils se baigne dans un étang proche avec une bande de joyeux drilles. Mais c’est interdit, la police embarque tout ce beau monde qui proteste à coups de remarques ironiques. István, toujours raisonnable, ne parvient pas à retenir son frère. Et Cilli suit les anars. Le grand frère commence à perdre la partie.


Ce qui se confirme : la résistance passive d’Edit finit par émousser la détermination de Kati. Elle quitte les lieux, dans un beau plan sous les hauts peupliers, croise la bande de jeunes, repart avec eux en courant follement dans un autre beau plan final. István a bel et bien perdu la partie. Mais Edit n’a rien gagné.


La deuxième partie donne une impression de flottement, voire le sentiment de tourner en rond. On se rend compte après coup que ce choix de la réalisatrice dégage un certain charme et exprime sans doute assez bien l’intériorité d’Edit : une sorte de vague à l’âme tenace. Les qualités plastiques du film concourent aussi à maintenir l’intérêt, que ce soit les mouvements gracieux de caméra ou la composition des plans (je pense par exemple à Edit face à une fenêtre saturée de lumière, ou aux plans sur la campagne en plongée depuis les vignes).


Le choix des costumes des femmes aussi, qui répondent au lieu dans lequel évoluent les personnages ou à leur situation : dans son appartement, la robe à motifs d’Edit renvoie au tableau abstrait derrière elle ; lorsqu’elle longe la bibliothèque dans l’obscurité, elle est vêtue d’un haut à barres verticales, comme les livres ; dans le premier dialogue entre Edit et Kati à la campagne, Kati porte une chemise à traits verticaux comme les peupliers au dehors, alors qu’Edit arbore un haut quadrillé exprimant son enfermement ; dans sa chambre, les motifs de son gilet renvoient aux pierres apparentes des murs ; lorsque Kati quitte la propriété, elle est tout de blanc pour la première fois, comme un symbole de libération puisque Kati, elle aussi, d'une certaine façon, était prisonnière.


Enfin, la réalisatrice insère quelques scènes énigmatiques, comme ce chasseur qui tire en l'air, faisant taire brutalement, au deuxième essai, le chant des oiseaux. Peut-être une façon d'indiquer le basculement du récit.


Indéniablement il y a beaucoup de cinéma dans ce Marie, titre mystérieux tout autant que le Holdudvar original. Que la très convaincante actrice qui incarne Edit se nomme Mari Törőcsik ne me semble pas une piste d’interprétation très sûre, mais je n'en ai pas d'autres sous la main. Et Márta Mészáros n’est plus là pour m'éclairer…


7,5

Jduvi
7
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Créée

le 13 févr. 2022

Critique lue 90 fois

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