L’air de rien, c’est un terrain miné le biopic.
On dirait un billard, comme ça, à première vue ; du genre de ceux qu’on retrouve dans les UEFA Elite Five Stars. On se dit que – forcément – dans un cadre aussi favorable à l’expression des talents, il n’y aura même pas à forcer pour que s’y jouent des matchs d’anthologie…
…Sauf qu’en vrai, bah pas tant que ça. C’est même souvent tout le contraire. Et ce Marinette est malheureusement venu me le rappeler.


Ah pourtant sur le papier ça envoyait du rêve !
Qu’est-ce qu’on avait là ? Une femme qui a dû lutter contre sa condition sociale, contre un père alcoolique et violent, contre les préjugés de genre, contre un système sportif qui l’empêchait de pratiquer un sport dans lequel elle s’est pourtant très vite mise à exceller, contre l’homophobie, contre la toxicité d’un sport en train de professionnaliser et de se marchandiser…
…Et pourtant, malgré ça, elle devient une grande championne ! Elle s’impose dans le championnat de référence du football féminin de l’époque. Elle devient l’une des premières figures majeures de l’équipe de France féminine, contribuant ainsi à mettre en lumière cette sélection auprès du grand public… Mais tout en restant pour autant encore aujourd’hui une inconnue du grand public !


Le sujet était riche. Un terrain idéal pour un grand film…
Seulement voilà, au football comme au cinéma, ce n’est jamais vraiment la qualité du terrain qui détermine si, oui ou non, on va avoir droit à du grand spectacle. Non, l’enjeu déterminant c’est surtout la présence ou non de talent.
Or le souci quand on croit que les choses vont être faciles, c’est que son talent, on a tendance à ne pas vouloir trop le forcer. On en vient même parfois à la jouer trop facile au point même d’en négliger jusqu’aux bases. Et c’est malheureusement ce que j’ai eu l’impression de voir dans la réalisation et l’écriture de Virginie Verrier.


Pourtant ça ne partait plutôt pas trop mal.
On sent que, dès le premier quart d’heure, le film a pleinement conscience du piège qu’il pourrait y avoir à enfiler les évidences comme les perles. En conséquence, le parti est pris d’un côté d’élaguer le gras grâce à un jeu d’ellipses successives, tandis que de l’autre sont évitées autant que possibles les verbalisations superflues.
Et même si ce premier quart d’heure n’est pas non plus totalement exempt d’écart à ces deux principes, occasionnant de ce fait les premières fautes notes de ce biopic…


Je pense notamment à la scène qui suit l’accident de la mère de Marinette. Voir les deux sœurs se morfondre dans la chambre de l’hôpital n’apporte pour moi strictement rien à part un moment de sensationnalisme facile et balourd…


…Il n’empêche que, malgré ça, ce Marinette est parvenu à trouver un angle d’attaque que, pour ma part, j’ai trouvé pour le moins pertinent. Et cet angle – induit dès la première scène du film – c’est celui qui consiste à simplement nous faire vivre le parcours d’une petite fille pleine d’énergie qui aspirait juste à s’épanouir et à prendre son pied de la manière la plus simple qui soit mais qui, malgré tout, va passer toute son existence à devoir se manger une multitude d’entraves diverses et variées ; transformant son existence en véritable combat.


Parce qu’en effet, je reste persuadé pour ma part que partager l’expérience personnelle d’un individu – et le faire par les sens – reste encore pour moi le meilleur angle que peut choisir un biopic. Car au fond un individu n’est jamais vraiment intéressant pour lui-même. Ce qui est intéressant – du moins à mes yeux – c’est toujours ce que l’individu révèle de l’époque et de la société qu’il traverse. Car si les époques et les sociétés sont toujours plus ou moins les mêmes, des approches nouvelles sont toujours rendues possibles de par la singularité du parcours de chaque individualité.
Seulement voilà, encore faut-il être capable de vraiment cerner les enjeux des époques et sociétés en question et – mieux encore – d’être en mesure de tenir son angle tout le temps de son film, or c’est là – concernant ce Marinette que les choses se gâtent.


Sur ces deux aspects, clairement, le film finit par très vite se perdre.
Revenons d’abord sur ce fameux angle dont nous étions tout juste en train de parler. J’évoquais comment, par un jeu d’ellipses et de regards non-verbalisés, le premier quart d’heure parvenait, bon an mal an, à se départir du superflu pour aller chercher l’essentiel. Le problème c’est que cet essentiel, Virginie Verrier semble manifestement peiner à le trouver au fur et à mesure qu’elle avance dans la vie et surtout dans la carrière de son personnage.
Tant qu’on reste à l’école ou à la maison, ça va encore à peu près : entre les souliers qu’on boude, les robes qu’on déchire, le père qu’on évite et les camarades de classe qu’on baffe, Verrier a l’air d’encore tenir son fil directeur, et cela malgré quelques errements déjà évoqués plus haut. Seulement voilà, sitôt le personnage de Marinette s’engage-t-elle enfin pleinement dans ce qui constitue sa grande passion – le football – que la cinéaste semble totalement s’égarer, oubliant le peu de latin qu’elle s’était efforcée jusqu’alors de mobiliser.
A partir de ce moment-là, tout devient énoncé de plus en plus textuellement : ce sont les coéquipières de Marinette qui disent explicitement pourquoi elle est rejetée ; l’entraineuse qui discourt sur les torts de chacun ; les journalistes et speakers dans le stade qui verbalisent les informations manquantes, quand ce ne sont pas régulièrement des synthés dégueulasses en Impact italique qui font cet office.
Arrivé dans le dernier tiers du film, Marinette a perdu toute notion de cinéma. On enchaine les scènes illustrées et commentés à grands coups de voix off, discours énonciatifs et de textes incrustés… Le tout bien évidemment avec une subtilité proche du néant.
Rien que sur ce seul aspect-là, Marinette est un film très dur à finir car vraiment éprouvant de balourdise ; indépendamment de ce qui peut être révélé du sujet traité...


…Mais le problème c’est qu’il y a aussi ce qui est dit du sujet. Et ça c’est le deuxième aspect sur lequel ce film part se prendre les pieds dans la pelouse.
Car – je le rappelle – derrière ses aspects de billard cinématographique, le biopic reste un terrain miné.
C’est un terrain miné car – et on semble parfois l’oublier – le genre appelle à ce que soit exposée une vérité sur le sujet traité. Et s’il reste vrai qu’on n’attend pas d’un biopic qu’il soit un documentaire doublée d’une thèse d’histoire qu’ a contrario on attend tout de même de lui qu’il sache garantir un certain équilibre entre fiction d’un côté et regard sur le réel de l’autre.
Or, pour ce qui est du regard porté par Virginie Verrier sur son sujet, je trouve clairement qu’il y a un véritable manque de perception, de discernement, voire même carrément d’intérêt par rapport à la richesse de questions qu’embrassait le parcours de Marinette Pichon.
Et comme tout un symbole de cette approche ô combien sélective et désespérément appauvrissante de la vie de son égérie, il a fallu que le premier sacrifié de ce film soit le football.


Il suffit de voir comment est dès le départ traitée la toute première prise de contact de la petite Marinette avec le ballon rond pour comprendre ce qu’il en sera pour tout le reste du film.
Marinette rentre sur le terrain, elle prend le ballon à l’adversaire, puis elle dribble tout le monde et marque toute seule. Tout le monde autour du terrain est ébahi. A star is born.
Cette représentation faite du jeu ne dépassera jamais ce postulat de tout le film. Adolescente ou adulte, en sélection nationale ou bien en W-League, Marinette Pichon ne sera jamais représentée autrement qu’ainsi : prenant la balle aux adversaires, dribblant tout le monde, puis marquant toute seule.
Même Olivier Atton et Mark Landers font plus de passes à leurs coéquipiers que Marinette Pichon.
Les stratégies, la lecture du jeu, la gestion des lignes et du bloc-équipe, le travail des séquences, tout ça, ça n’existe pas pour Virginie Verrier.
Les entraineurs ? Ils ne sont là que pour hurler, donner de la motivation et – au mieux – gérer les guerres d’égos. Rien de plus.
Alors déjà que le film manquait cruellement de subtilité de par son écriture désespérément explicite, autant vous dire que cette approche ultra-caricaturale du monde du foot ne va clairement pas aider.


Le pire, c’est qu’en refusant de se renseigner un tant soit peu sur ce domaine dont elle estimait sûrement qu’il n’y avait rien à savoir, Virginie Verrier passe non seulement à côté de pas mal de pistes intéressantes – voire fondamentales – et va même jusqu’à produire en bout de course ce que j’estime être un profond contresens sur ce que nous révèle vraiment l’histoire de Marinette Pichon.
Vers la fin du film – et je précise pour rassurer celles et ceux qui ont peur d’être spoilés que ce passage est présent dans la bande-annonce – le personnage de Marinette dit que le football lui a tout apporté. Seulement quand on prend en considération l’ensemble de ce long-métrage, on serait clairement en droit de se demander « en quoi » ?
Qu’est-ce que le football a apporté à Marinette ?
L’argent ? La reconnaissance ? L’amour ? De ce qu’en montre ce film, on serait clairement en droit de considérer que, sur tous ces points, Marinette n’a rien obtenu du football en propre. Tout ce qu’elle a obtenu, elle le doit surtout et avant tout à son talent – visiblement inné chez elle comme semble le montrer la scène d’intro – mais aussi à sa capacité à lutter contre les entraves systémiques qu’on lui oppose (jupe, soulier, oppression patriarcale, moqueries) aidée en cela par des alliés cruciaux (mère, entraineur, entraineuses, coéquipières américaines, etc.), et enfin à son incroyable détermination qui a su en emmener plus d’une dans son sillage, comme le démontrent ses causeries de mi-temps.
Au final, c’est surtout grâce à ses qualités individuelles intrinsèques et au fait que d’autres fortes individualités aient su se fédérer entre elles que les lignes ont bougé.
Au fond Marinette Pichon se serait découvert, à la place du foot, une passion pour le surf, pour le MMA ou pour l'optimisation fiscale que ça aurait été la même chose. En cela Virginie Verrier reproduit à la lettre la partition classique d’un biopic étatsunien où l’individu se construit par lui-même contre les pesanteurs de la société et où chaque individu, de par son parcours singulier, ne fait que confirmer le même modèle d’accomplissement libéral.
Alors pourquoi pas. Mais outre le fait que c’est passablement chiant de voir niées les réelles particularités des individus au profit d’un même récit uniformisateur, je trouve qu’en plus ça fait passer ce Marinette totalement à côté de son sujet.
Car en méprisant totalement l’activité par laquelle le sujet de son film s’est pourtant épanoui, Virginie Verrier s’est privée de comprendre comment la pratique du football – et celle des sports collectifs en général – constituent en eux-mêmes des écoles d’émancipation : des cadres favorables à l’empuissancement des individus au sein de structures collectives.
C’est d’ailleurs peut-être même aussi pour cela que ce film loupe toutes les opportunités qui s’offraient à lui de montrer comment les problématiques propres à nos sociétés finissaient au bout du compte par se reproduire au sein du monde du foot.


Par exemple que Marinette subisse à nouveau des discriminations au sein de la sélection nationale – quand bien même se retrouve-t-elle désormais dans un milieu où son statut de footballeuse n’est plus questionnée – ça, ça méritait un vrai questionnement en profondeur sur la manière dont la hiérarchie des clubs finissait par reproduire au sein du monde du football des mécaniques discriminatoires. En tout cas, ça méritait pour bien plus que de simples crêpages de chignon entre filles hargneuses.
Idem pour le départ de Marinette en Amérique. OK, elle dispose désormais d’un statut professionnel qui est en soi une marque de reconnaissance, mais à aucun moment n’est vraiment questionné en profondeur le modèle américain du spectacle-business – celui-là même qui, pourtant, réduit le joueur au rang de marchandise achetable et jetable et où les identités d’équipes finissent elles aussi par être diluées dans la culture uniformisante des franchises commerciales.
Pourtant Marinette subit dans sa carrière cette dure loi ! Elle est elle-même contrainte de rentrer au pays à cause de la faillite de ce modèle américain pourtant tant vanté ! De là une vraie question de fond pouvait être menée sur le football, la société et – avec elle – le statut de professionnelle tant défendue par le personnage de Marinette Pichon.
Réclamer une égalisation entre les hommes et les femmes c’est une chose, mais le faire en vantant le modèle américain comme modèle, quand on voit ce que les Etats-Unis ont fait du sport professionnel – est-ce vraiment un horizon souhaitable ?
Ça aurait peut-être été plus intéressant – et surtout éclairant sur l’époque – que de fuir tous ces sujets là pour ne s’intéresser qu’aux multiples histoires d’amour de Marinette.


Mais bon, seulement voilà, comme dit plus haut, le biopic fait partie de ces genres qui donnent l’impression qu’on peut dérouler sans forcer. La formule étant rodée, l’effort ne se réduit dès lors plus qu’à trouver un sujet suffisamment riche pour le mettre dans la machine et ensuite tourner la manivelle.
Marinette Pichon faisait partie de ces sujets. Virginie Verrier l’a saisie et l’a passée à la moulinette du genre. Il en est ressorti le même stéréotype. La même formule gagnante pour se la jouer facile sans prendre de risque, oubliant au passage ce qui fait la saveur du cinéma.


Car il y a tout de même un joli paradoxe à vanter les mérites d’une individualité si c’est pour au final dissoudre toute singularité dans une formule usinée.
Car au final, à tous jouer pareil, sans effort, ni recul, les biopics finissent par produire des matchs sans enjeu...
...De véritables matchs nuls.

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le 18 juin 2023

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