L'art de l'allégorie historique est un exercice délicat. Trop pointue, et c'est une partie du public qu'on perd ; trop évidente, et elle vire à l'exercice de style stérile.


Il faudrait probablement trouver un troisième cas de figure (ratée) puisque "Mario et le magicien", adaptation d'une nouvelle de Thomas Mann sur le thème de la montée des fascismes dans les années 20, n'appartient à aucune de ces deux catégories mais n'est pas pour autant franchement réussi. C'est l'histoire d'une famille allemande en vacances en Italie, comme chaque année, mais qui va prendre une tournure différente cette fois-ci (et hautement allégorique, donc), à l'aune des horizons géopolitiques européens nouveaux en ce début de 20e siècle.


Il y a des grains de sable dans presque tous les engrenages moteurs du film, de la narration à l'interprétation. À de très nombreuses reprises, on devine la puissance qui est censée se dégager d'une scène sans pour autant ressentir véritablement la moindre chose. C'est le cas de la séquence sur la plage, où la fille du couple est prise à partie par d'autres enfants italiens et qui donne lieu à une bataille de "boules de sable mouillé". On comprend bien ce qu'elle signifie en termes de montée des tensions entre les deux pays, on comprend bien la surprise qu'est censé générer le fait que la fille exhibe son corps en se baignant nue par la suite, mais ça ne fonctionne pas, ou pas comme cela devrait fonctionner en tous cas. Les personnages outrés dans le film sur-signifient l'étonnement devant ce jeune corps nu (on est dans les années 20 pudibondes, ne l'oublions pas), mais nous, spectateur, on ne ressent pas du tout leur sidération.


C'est également le cas de la scène finale dans laquelle le fameux magicien (figure du fascisme qui mystifie les foules) ensorcèle deux jeunes gens et provoque un meurtre. On tue l'innocent plutôt que le méchant, et tout le monde applaudit sans se rendre compte de l'horreur de la manipulation. Le message est d'une lourdeur incroyable, l'artificialité du dispositif empêche d'y croire. On ne voit pas ce que voient les personnages, comme devrait le faire un film de fiction, on voit des acteurs faire leur numéro. Difficile de véritablement croire en la montée d'un sentiment hostile tel qu'il est présenté. Brandauer s'est probablement perdu dans sa très grande ambition (on peut au moins lui reconnaître ça), mais force est de constater qu'il n'a pas les épaules d'un réalisateur comme Herzog — qui en aurait fait quelque chose de beaucoup plus intéressant et stimulant, à n'en pas douter.


[AB #154]

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le 17 nov. 2016

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Morrinson

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