1. Independence Day envahit les écrans du monde entier et attire les foules notamment grâce à une promotion ingénieuse vantant les mérites illusoires d'une bande indigente et surfriquée. Un blockbuster commandé et financé par une major (la Fox), alors soucieuse de devancer un projet à priori concurrent surfant lui aussi sur la mode des invasions aliens. Initié en 1995, Mars Attacks découle avant tout d'un voeu insensé de Tim Burton, celui d'adapter à l'écran une collection de cartes à jouer, très à la mode durant son enfance dans les années 60. Le réalisateur voit là non seulement l'occasion de rendre hommage aux sci-fi movies de sa jeunesse (en particulier aux films Les Soucoupes volantes attaquent et Les Survivants de l'infini dont Burton empruntera beaucoup d'idées) mais aussi de laisser libre court à sa rage créatrice du moment. Un rien échaudé par le piètre accueil réservé à son biopic sur Ed Wood deux ans auparavant et après avoir été mis sur la touche pour les nouvelles aventures de Batman (confiées alors hélas à Schumacher...), le cinéaste a dans l'idée de frapper un grand coup avec son nouveau projet. Si les pontes de la Warner ne se montrent alors pas très enthousiastes à l'idée de débloquer un budget de 80 millions de dollars pour un film de SF au pitch improbable, l'entrée en scène du producteur Larry Franco comme principal soutien de Burton suffit à convaincre la major de suivre le cinéaste dans son nouveau délire.


Ce dernier engage alors Jonathan Gems comme scénariste et tous deux travaillent longuement à rédiger le scénario de ce qui deviendra Mars Attacks. L'idée du cinéaste est alors de proposer un spectacle ouvertement cruel et régressif, tout en démolissant allègrement les repères moraux de l'époque. Dans la même optique que ses précédents travaux (Beetlejuice, L'étrange Noël de monsieur Jack), il souhaite avoir recours à des sfx rudimentaires et archaïques afin de lorgner sur la poétique bricolée des films de son idole Ed Wood (voir comment les ovnis de son film ressemblent à de simples tasses renversées). Il envisage également d'avoir recours à la stop motion pour animer ses envahisseurs afin d'appuyer son hommage à tout un pan du cinéma de son enfance. Las, les délais d'animation à l'ancienne sont trop longs et plus coûteux, contraignant alors le réalisateur à se tourner vers les magiciens d'ILM pour donner vie à ses petits monstres. Ceux-ci ont pour mot d'ordre de donner aux martiens, sur la base d'un design volontairement grotesque (des petits corps fluets surmontés d'une tête proéminente), des mouvements saccadés afin de mieux accentuer le rapprochement avec les effets spéciaux des années 50 et en particulier à ceux de Ray Harryhausen (une autre idole de Burton). La direction artistique elle, privilégiera le style pop art, les couleurs chatoyantes et improbables, comme pour donner à l'écran un caractère intemporel au monde imaginé par Burton. Quant aux personnages humains, le cinéaste souhaite confier chacun des rôles à des vedettes plus ou moins connues et s'emploie alors à contacter tous les acteurs, seconds couteaux, sportifs et musiciens qu'il a en tête. Mars Attacks bénéficiera alors d'un des castings les plus prestigieux de la décennie, chaque vedette impliquée acceptant alors de cachetonner pour le cinéaste, lequel voit alors en cette distribution l'occasion de pousser encore plus loin la farce. Plus délicat aura été de convaincre Danny Elfman de composer la musique du film. En froid depuis L'étrange Noël de monsieur Jack (pour une divergence d'opinion, le score d'Ed Wood ayant été signé par Howard Shore), le cinéaste et le compositeur décident de faire table rase et de travailler à nouveau ensemble. En résultera une des meilleures partitions d'Elfman, particulièrement inspirée et illustrant parfaitement le délire de Burton. La production du film prenant du retard et se faisant devancer par celle d'Independence Day, Burton en profitera pour pasticher le navet de Roland Emmerich en prenant le contre-pied de son patriotisme exacerbé. Quelques mois plus tard, le film sort sur les écrans du monde entier et fait un four à la hauteur du carton planétaire d'ID4 quelques mois plus tôt. Pour 80 millions de billets verts, l'exploitation en salles de Mars Attacks n'en rapporte que 30 sur le sol américain, (là où pour le même budget, ID4 engrangeait plus de 50 millions pour son premier week-end) faisant du film de Burton un des plus gros échecs financiers de l'année. De quoi faire perdre au cinéaste une part de sa crédibilité auprès des dirigeants de la Warner qui mettront alors plusieurs années à collaborer à nouveau avec lui (à un Superman Lives près...). Même les critiques d'alors ne sont pas vraiment tendre avec le film de Burton qu'ils considèrent comme un spectacle puéril, amoral et régressif.


Ils n'avaient quelque-part pas tort. Puéril et régressif, Mars Attacks l'est assurément et pour le plus grand bonheur des spectateurs. Certes, il y a probablement quelque-chose d'agaçant à imaginer un cinéaste s'esclaffer derrière son combo tout en se payant le luxe de tout démolir à l'écran au risque de mépriser les attentes des spectateurs. Pourtant il n'est pas interdit de voir aujourd'hui en Mars Attacks un des films les plus drôles et les plus subversifs des années 90 aux côtés de Starship Troopers. En à peine plus de 90 petites minutes, le cinéaste prend un plaisir évident et communicatif à démonter les piliers culturels, médiatiques et sociaux de l'Amérique de Clinton, comme l'avait fait Joe Dante avec la société reaganienne près d'une décennie plus tôt dans Gremlins. Se basant sur une structure en trois actes (l'annonce, la rencontre et le chaos), Burton prend tout d'abord le temps de présenter les principaux intervenants du monde qu'il s'apprête à démolir. Tous des archétypes que le cinéaste va diviser en deux catégories : les plus honnêtes et marginaux (que Burton récompensera à sa façon) et les autres : les nantis, va-t-en guerres, dépravés et corrompus. Des personnages tous plus ou moins détestables, de tous bords politiques et voyant en l'arrivée annoncée des martiens non pas un événement extraordinaire ("C'est ça un extra-terrestre !" s'exclamera le président américain avec une grimace de dégoût) mais une opportunité plus que profitable. Ils vont alors rapidement déchanter face à l'hostilité tout aussi soudaine qu'absurde des aliens, qu'ils croiront à tort déclenchée par un malencontreux symbole de paix. Tout et tout le monde en prendra alors pour son grade, de préférence sous les traits de stars hollywoodiennes jouant allègrement le jeu de massacre. Jack Nicholson (génial dans un double rôle hilarant), Glenn Close, Pierce Brosnan, Rod Steiger, Michael J.Fox, Danny De Vito, Martin Short, Jack Black, Sarah Jessica Parker, tous égratignent pour de rire leur image avec un plaisir communicatif devant la caméra d'un cinéaste déterminé à ne se refuser aucune audace. Sous couvert d'un génocide planétaire (et surtout américain), Burton désintègre bon nombre de symboles (le parlement américain, la maison blanche, le mont Rushmore, la tour Eiffel (et l'Elysée de Barbet "Maurice" Schroeder), l'île de Pâques, le Taj Mahal) et aligne les séquences d'anthologies à un rythme effréné (l'atterrissage dans le désert, l'infiltration dans la Maison Blanche, le "Shut up !" de Nicholson, la frappe nucléaire façon fumette, le discours inspiré mais inutile du président américain...). Cruels, décomplexés et terriblement drôles, ses martiens deviennent comme les gremlins en leur temps, les pourfendeurs du politiquement correct, dégommant sans distinction hippies, pacifistes, démocrates, républicains, journalistes, avocats, rednecks, infirmes et personnes âgées. Même le clébard présidentiel, à priori intouchable, se fera pourtant désintégrer pour avoir fait l'erreur d'aboyer au mauvais moment. Poussant l'absurdité à son comble, Burton fera alors de la voix horripilante de Slim Whitman l'instrument improbable de la défaite des martiens (atteints d'une très sévère hyperacousie) et n'épargnera qu'une poignée de freaks et d'exclus, appelés à reconstruire un monde moins con après le génocide. De quoi tirer la gueule ou se la fendre volontiers devant l'ampleur du carnage et de la farce, d'autant que Burton a le bon goût (ou mauvais c'est selon) de conclure son film sur un Tom Jones swingant en pleine nature sur son tube It's not unusual.


Spectacle frondeur, furibard et jubilatoire, Mars Attacks a depuis sa sortie gagné ses galons d'oeuvre culte et s'impose désormais comme un des films les plus délirants et impertinents jamais tournés. Un brûlot anarchiste de près de 80 millions de dollars, lancé à la gueule du monde entier et de l'Amérique en particulier, et qui reste à ce jour, en plus d'un des films les plus réussis de son auteur, la meilleure alternative aux mauvais films d'invasion extra-terrestres. Ainsi qu'à leurs résurgences...

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le 20 juil. 2016

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Buddy_Noone

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