--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au dix-huitième épisode de la quatrième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_2_King_Crocs/2478265
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---


Nous avons reçu les premières nouvelles de nos disciples émissaires. L’ambiance est tendue, l’évocation de nos noms, à la reine et moi, comme leurs supérieures directes forcent les groupes locaux au respect, mais l’hostilité est sous-jacente. Personne ne comprend ce qu’un vampire et un loup fichent ensemble, comment une amitié contre-nature de la sorte a pu naître, où est la supercherie. Pour l’instant donc, ils tentent de se faire accepter, et tant que ce n’est pas le cas, ils restent discret et vigilants, pour leur survie. Même si on s’attendait à ce genre de réaction, ce n’est pas très encourageant. Sur le chemin vers la Cinémathèque, la reine et moi avons enfin eu le courage de soulever les non-dits et d’affronter leurs conséquences : si un loup de ma meute ou si un vampire sous sa protection venaient à périr des mains de l’espèce adverse dans cette mission, il sera de notre devoir de nous affronter l’une et l’autre. Cela arrivera. Et l’une devra mourir. C’est une fatalité à l’échéance proche. Nous le savions parfaitement l’une et l’autre en prenant la décision d’envoyer nos troupes. Nous n’avions rien dit car ça ne changeais rien ni à ses calculs froids ni à mes convictions intimes : mieux vaut qu’une seule d’entre nous périsse plutôt qu’une guerre qui ne saurait se finir -si elle venait à débuter- que dans l’extinction totale d’une de nos deux espèces. Simplement je préférerai que ce soit elle que moi… Dans cet optique, nous avons décidé de mettre fin à notre relation amicale qui était bâtie sur une tractation politique  et qui tendait à devenir une relation de dépendance toxique. Martin sera le dernier film que nous verrons ensemble.
Bien étrange façon de découvrir Romero que par un film de vampire. Si ma future ex-amie avait déjà vu tous ses plus grands films et se réjouissait de découvrir comment le maître s’en sortirai avec son espèce, j’étais tout simplement curieuse de découvrir Romero tout court. Et la découverte de cette étrange pépite n’a fait que me renforcer dans mon envie de voir Novembre 2020, et de le dédier aux films de zombies. Ce film suit une trajectoire curieuse : s’ouvrant sur une (pour la deuxième fois du mois !) scène de train-couchette assez sanglante et très bien ficelé en terme de traitement du rythme, de l’ambiance, du suspens, et au final de l’horreur ; le film enchaîne sur un tout autre registre, proposant les grands thèmes du film de vampire à la Hammer et Universal Monsters, à base de croix brandies et de gousses d’ail encadrant les lits des victimes potentiels. Et alors même qu’on commence à peine à s’ennuyer de ces vieux clichés ressassés à toutes les sauces depuis plus de 70 ans, voila que notre bon ami Martin se jette sur le lit, arrache la croix des mains de notre Van Helsing sur le tard, croque dans la gousse d’ail. Le mythe est rompu, le doute s’installe, la modernité aussi, la curiosité surgit et Martin de nous achever à coup de « There’s no magic ! It’s not magic ! ». A partir de là tout est passionnant. Le vampire de Romero pousse très loin le concept du anti-héro marginal, nous présentant un personnage psychologiquement fragile, avec un trouble de retard mental. Si j’ai vu des vampires loosers, marginaux et truffés de bizarreries en tout genre, je suis étonnée de réaliser en cet instant que je découvre pour la première fois un vampire tout simplement handicapé. Handicapé mais pas encapé, notre Nosferatu moderne se ballade dans sa nouvelle ville avec toute sa candeur, s’affairant à divers emplois de livraison, d’aide au magasin de son oncle, de travaux, et plus si affinité. Le tout aux couleurs chatoyantes d’une pellicule 16mm se gorgeant du soleil estival d’une petite banlieue pavillonnaire, bien loin de nos films de vampires obscurs et gothiques de l’écrasante majorité. Si c’était sans ces hectolitres de sang revenant chapitrer le film régulièrement, on pourrait presque se croire dans un Lauréat low cost et déjanté. En parallèle de ses activités de sexe, de meurtre, et de ses divers autres petits jobs, notre vampire du jour s’adonne à la confession radiophonique. Ce dernier point est probablement l’un des plus saisissant, nous révélant un héro tourmenté, convaincue comme son oncle de sa nature vampirique nécessitant sa ration de sang hebdomadaire, là où tout le reste de son entourage et le spectateur rationnel que je n’ai pas été aura déduit qu’il n’est qu’un marginal qui n’aurai besoin que d’un suivi psychiatrique. Ses auditeurs, tour à tour curieux ou moqueurs deviennent malgré tout sa seule échappatoire à cette vie tranquille dans laquelle il est contraint de faire comme s’il était aussi normal que les résidents de cet endroit paisible. Et malgré son statut de serial killer, sa candeur, son trouble intellectuel et sa fraîche jeunesse font de lui un personnage diablement attachant. C’est cette affection étrange mais bien connu de l’amatrice de films de monstre que je suis, qui nous conduit comme bien souvent sur un sentiment de tiraillement déchirant sur cette étrange double-fin. L’injustice du sort réservé à Martin se contrebalance douloureusement avec un sentiment rationalisant de justice : S’il n’aurai pas du être puni pour ce crime-ci, il avait bel et bien été laissé impuni pour pléthore d’autres. Et même si un procès aurait été plus adapté, il était couru d’avance et annoncé dès le début que la démence de l’oncle, presque aussi grande que celle du personnage principal, mais certainement bien plus burlesque, nous conduirait à cette fatale issue. Quant à l’autre fin, la réelle clôture du film, elle nous amène à un tout autre tiraillement bien plus subtile : ce public méprisable qui se riait des troubles de notre héro, se retrouve finalement le seul à pleurer sa perte. Son anonymat l’aura alors élevé en star, ses dysfonctionnement auront fait le succès de son charisme, et finalement, en bon vampire, son immortalité se révèle dans sa façon de survivre dans la mémoire de ses fans curieux, incapables de croire à la mort de leur idole, tout autant qu’ils étaient incapable de croire à la réelle dangerosité de ce dernier. Comme des vrais fans de vampires, quoi.
Nous avons quitté le cinéma séparément. C’est une page qui se tourne ce soir, mon amitié d’abord factice avec l’origine de tous mes tourments commençait pourtant à se transformer en une jolie réalité. Mais étrangement, je ne ressens pas de tristesse. Cette solitude toute nouvelle que je goûte ce soir m’envahit de plaisir. Je n’arrive plus à me figurer la dernière fois que j’ai été seule, probablement l’année dernière, quand je chassais les fantômes sur des îles désertes. Je ne me souvenais plus de plaisir que la solitude procure. L’apaisement ultime dans lequel elle me plonge. Je repense à Martin, le héro de ce soir, qui s’en sortait très bien tout seul, et qui a précipité sa perte à vouloir faire comme tout le monde en se créant des interactions sociales. Et si je n’avais pas besoin de ça ? Si comme Martin la solitude me seyait plus ? Et si je n’avais besoin de rien d’autres que les immenses étendues enneigées de mon enfance, de la chasse, et des bras de Lycaon de temps en temps, quand la solitude se sera re-transformée en douleur ? C’est seule et heureuse que je quitté Octobre, et que je fêterai la fête des monstres.
Zalya
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le 3 nov. 2019

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Zalya

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