Beaucoup de polémiques ont pris corps autour de Martyrs, pour la plupart à mon sens stériles et dont je ne tiens donc pas à débattre ici. Je préfère tenter de jauger l'objet film hors de tout contexte, même si le ressenti rend l'exercice d'objectivité plus complexe encore qu'à l'ordinaire.
L'objet en question n'est sans doute pas sans qualités, à commencer par une forme pas foncièrement novatrice mais au service de la narration, du propos. Une lumière travaillée, des cadrages réfléchis (pas toujours subtils, mais réfléchis) une utilisation soignée des contre champs, une piste sonore de qualité... Côté distribution, on alterne le meilleur et le pire (parfois même au sein d'un seul rôle) pour un résultat symptomatique du film : crédible quand ça donne dans l'hystérie hurlante, et médiocre quand il s'agit de se poser, d'exposer, d'expliquer.

Il est un aspect où Martyrs montre un semblant d'intelligence, c'est dans son jusqu'au boutisme, non pas visuel (ignoble et pas très utile), mais mental (et pas moral, j'y reviendrai) Jamais Laugier ne tentera de nous faire rire, jamais il n'humanisera les bourreaux... si le film n'est pas dénué d'inspirations aisément identifiables (lHellraiser, Ring) elles sont cela, des inspirations plus que des références. Pas de méta-textuel à la Scream, rien qui puisse rappeler au spectateur que c'est du cinéma ou suggérer que tout ça puisse avoir un caractère "divertissant" comme peut chercher à l'être le poussif et débactant Saw..Là est la différence avec les "torture-porn", qui donnent à leurs catalogues de chinoiseries des allures de jeux de pistes (le tueur du susnommé s'appelle même "Jigsaw") pour les sadiques comme pour les spectateurs (qui s'amuseront à deviner qui va mourir, comment...) Ici on ne s'amuse pas, rien n'est fait pour, jamais, pas un seul plan, pas une seule scène, le film n'est plaisant à regarder. Pénible, violent, éprouvant. Une chose que l'on peut vouloir rechercher au cinéma et que l'on aime ou pas, plutôt efficacement conçue ici dans une première partie horrifique et rythmée qui peut légitimement sembler grand-guignolesque à certains et marquer les autres..
Ne pouvant expliquer le reste de mon propos sans **s-p-o-i-l-e-r***, je glisse ici une petite alerte...
On commence à décrocher à mi-chemin, devant la bêtise de la protagoniste centrale. L'humanité instinctive d'Anna constituant la seule lumière du film, la voir porter secours à la suppliciée est éprouvant visuellement mais presque rassérénant d'un point de vue émotionnel. Mais même en acceptant l'idée qu'une jeune personne décide explorer seule le sous-sol glauque (et secret) de gens soupçonnés d'enlèvement et de torture, en trouvant de l'apaisement à la voir délivrer une victime, la voir ensuite passer la nuit dans la maison fait osciller notre vision du personnage. Pas suffisamment pour briser toute empathie et permettre d'anhilier le calvaire que constitue la suite, mais pas loin. C'est en revanche dans le même segment central que bascule pour de bon notre vision du film, par la pseudo-justification de tout ça, amenée avec une grossièreté narrative rare, et d'une bêtise de fond plus exceptionnelle encore.
Cette bêtise pourrait presque s'excuser, voire fonctionner. Nul besoin que les bourreaux soient logiques après tout, leurs actes sont fous, leurs motivations ne peuvent pas être saines, et ce n'est pas tout à fait là ce qui fait de Martyrs un film à mon sens profondément nauséabond. Mais force est de reconnaître que ça ne fonctionne pas : la froideur méthodique des bourreaux (que l'on voit torturer Anna comme un statisticien rentre ses chiffres sous excel) le coté "expérience scientifique" de la chose s'accorde très mal avec la base ultra mince de leur théorie (des femmes qui ont les yeux dans le vague alors qu'elles agonisent... c'est vrai que la *seule* explication valable, c'est qu'elles entrevoient l'au-delà.)
Non, le problème, c'est que ces bourreaux finissent par avoir raison. Que la connaissance suprême, la transcendance au delà du monde physique, s'avère effectivement pouvoir être atteinte via la douleur. On comprend alors dans quel sens s'est écrit le scénario de Laugier (du moins on se l'imagine comme tel) : une envie de filmer l'indicible, et un besoin de lui donner un sens pour élever cette épreuve sensorielle au rang de pensum. Martyrs aurait mieux fait de s'assumer pour ce qu'il était, rester justement à l'état d'expérience sensorielle coup de poing qui n'aurait certes franchement pas plus été à mon goût (mais dont j'aurais réduit le problème à ça, une question de goût). En justifiant le délire mystico-débile, de film horrifique, Martyrs devient horrifiant de part l'insondable bêtise de son propos. J'aime à penser que si connaissance suprême ou tout au moins une conscience plus aiguë du monde, de l'univers, des choses et des êtres puisse s'atteindre, cela se fasse plutôt par la pensée, par la réflexion, et si vraiment il faut chercher dans le sensoriel, par le plaisir. Cette apologie de la douleur comme purificatrice, élévatrice, transcendante rejoint finalement le propos inepte d'un Saw (où déjà, la scène qui me choquait le plus restait celle de la victime remerciant son tortionnaire de lui avoir fait redécouvrir la valeur de la vie). Arrêtons là le délire, dans la réalité, la douleur avilie, brise, rend fou, et peut parfaitement vous pousser à perdre votre statut d'être humain.
Quelque part, je dois remercier le film d'avoir pris un tour si stupide et honteux, m'ayant permis de décrocher et de mieux supporter la suite. Mais je reste éprouvée, qu'une idée pareille puisse être jugée bonne, ne serait-ce que d'un point de vue narratif. Au fond, que l'on soit pris dedans ou non, que l'on vive l'expérience au premier degré ou avec le recul consterné qui fut le mien, Martyrs n'est pas tant un film d'horreur qu'un film profondément déprimant.

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le 10 oct. 2011

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Julie_D

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