La Leçon d'existence de l'éternelle nurse et du gentil ramoneur

Allons, allons, les enfants ! Youplà !
Suivons ce bon vieux Bert jusqu’au 17, allée des cerisiers !
Nous l’y trouverons au côté de Mary Poppins et assisterons à leur cours enchanté d’existence.
Au programme d’aujourd’hui :
- " Il faudrait être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple " Jacques Prévert
- " Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il croit " François de La Rochefoucauld
- " Soyez le changement que nous voulons dans le monde " Gandhi



Un Tourbillon nommé Mary



L’arrivée de Mary Poppins est un tourbillon tempétueux dans le cinéma comme dans la fiction. Bert ressent le changement de vent et prophétise son arrivée. Même prophétie venant de l’Amiral Boom, qui s’adresse à Mr Banks, le pater familias, en ces termes : « ça ne m’étonnerait pas du tout que vous entriez dans une période de sale temps ! ». Puis, les concurrentes de Mary Poppins, tristes incarnations des attentes strictes du père, sont littéralement emportées par le vent, laissant place nette pour la belle et ensorcelante nurse.
Nannies que vent emporte et il ventait devant ma porte !


C’est alors qu’éclate une tempête d’un genre différent : un tourbillon qui va dévaster le bon vieux monde de 1910 et ses valeurs austères où la poésie est niée au profit de l’argent. Les enfants qui étaient des objets de valeur deviennent des êtres en construction, l’économie anglaise qui fait la fierté du pays dans le monde entier va être troquée contre les cerfs-volants.Le tourbillon nommé Mary et sa traîne d’oiseaux printaniers vont va changer les mentalités, pour toujours.
Elle incarne un Humanisme puissant tout en fermeté, magie, douceur et poésie qui combat l’égoïsme et l’avarice capitaliste comme le beau temps chasse l’Hiver. L’Humain se rit des convenances grotesques du Monde du Travail en inversant les rôles : c’est l’employée qui pose des questions, accepte le poste, décide si elle est licenciée et suggère une période d’essai selon sa convenance. Un Humanisme qui soigne par le rire, qui est le propre de l’Homme. Le typhon Mary pousse volontiers plutôt à mourir de rire qu’à mou rire de mourir. Le rire fait voler au plafond et au paradis car il rend léger et imarcesciblement vivant !


Cela dit, ce n’est pas une tempête folle, car même les tempêtes peuvent être réfléchies : elle tient plus d’un rappel à l’ordre poétique de Cocteau. Mary change les perspectives, montre les perspectives les plus heureuses et les plus joyeuses. Elle se fait aussi stevensonienne ou conradienne en déchirant le voile gris des mensonges du quotidien. Ainsi, les premiers symptômes que l’on remarque touchent les domestiques : la cuisinière et la gouvernante fâchées à mort deviennent les meilleures amies du monde.
La guerre éradiquée, la tempête s’attaque au fossé des générations, remue les terres inondées et comble les failles d’écoute et de compréhension entre parents et enfants. En envoyant les enfants dans la banque du père, elle détruit le Dieu qui s’affaisse devant le titan Ploutos. Mais elle le fait pour mieux les faire fuir vers Bert qui leur révèle le courage d’un simple mortel qui joue les divinités pour mieux protéger sa famille et la rendre seul. Le père n’est plus un Dieu surpuissant qui méprise les oiseaux mais un Héros faible et seul, au bouton défloré et au chapeau troué,sur des sommets qu’il doit créer.
Seul sur ses sommets, il ne parvient plus à discerner les choses simples qui se trouvent autour de lui. Sans être ennemi de la fantaisie, comme il l’admets lui-même, il met l’accent sur le decorum, l’artificiel convenable. Pousser hors de sa banque Mary, il en vient à parler avec Bert qui, après l’avoir démasqué aux yeux de ses enfants, fait tomber les masques de ses enfants. Contagieux, ayant vu la réalité de l’existence, il sortira de leur sommeil les patrons de sa banque.
La tempête ne vient pas tout détruire, elle vient jouer à « rangeons la nurserie » à coups de « morceau[x] de sucre qui aide[nt] la médecine à couler ».


Hélas, comme dans tout ouragan, il y a une partie privée du mouvement. Cet œil du cyclone, c’est Mary Poppins elle-même ! La fin du film découvre la triste face cachée de Mary Poppins, celle qui la fait ressembler à Moïse ou à tout précepteur, enseignant ou professeur. Qui fait traverser le désert, reste dans le désert lorsque sa troupe a atteint l’oasis prochaine. Mary Poppins est ainsi dans le désert du monde et lorsqu’elle a fait découvrir la joie à autrui, lorsque le vent tourne, elle doit repartir et trouver d’autres prisonniers du désert pour les mener à un nouvel oasis. Confiseuse, elle offre du sucre auquel elle ne peut goûter.


Goûter à ce morceau de sucre, c’est être contagieusement heureux et fou et modifier l’univers à coup de rêves et d’optimisme. Et certes de quelques chansons. Mais quelles chansons !



Nursery rhymes or Silly symphonies



Des chansons inoubliables, envoûtantes, qui restent en tête, qui conservent notre enfance pour mieux nous y replonger une fois adultes. Des chansons qui rappellent la définition de la chanson par Joe Dassin : un air qui entre en tête et qui fait se sentir meilleur.


Des chansons qui changent aussi Mary Poppins en un bel opéra où tout langage, sans prévenir, mute en chant peu à peu plus naturel que le langage naturel.
C’est parce que c’est un langage magique qui a le pouvoir de modeler le réel : il change la couleur du ciel, transforme un simple dessin en monde réel, introduit le dessin-animé dans le monde live.


Des chansons en conflit les unes avec les autres, défendant chacune une thèse : Je vis et mène une vie aisée, qui loue la vie du parfait cadre d’entreprise phallocrate, en conflit tant avec le Chem’ cheminée qui défend la vie aventureuse du travailleur à la petite semaine et le Mes soeurs suffragettes, qui illustre le féministe. Enfin, Les P’tits oiseaux et Laissons s’envoler le beau cerf-volant défendent la thèse la plus importante du film : Prenez la vie par le bon bout en méprisant les fictions de la Finance et en étant solidaire des autres Hommes. D’ailleurs, les cerf-volants ne révèlent-ils pas les allers et retours de Mary Poppins ? Et la vieille dame aux oiseaux, ne serait-ce pas une des apparences que saurait prendre la fée Poppins ? Les airs étayent les arguments et font office de leitmotive pour reconnaître les différents personnages. Chem’ cheminée et Entrons dans la danse donnent vie à Bert et ses amis ramoneurs, Je vis et mène une vie aisée ressuscite Mr Banks et les vieux banquiers.


Des chansons et des airs qui mettent en évidence l’incroyable et insoupçonné pouvoir du langage. Ces chansons permettent la magie et nous plongent même dans un grand bain de magie. Ne parle-t-on pas d’ailleurs d’enchantement ? En-chante-ment !


Un air répétitif vient ponctuer les différentes boutades qui font s’envoler. La chanson la plus célèbre du film, Supercalifragilisticexpialidocious, en elle-même est un mot, une formule magique qui rend heureux et chassent le cafard. Hakuna Matata n’a plus qu’à se rhabiller !


Enfin, certaines chansons font la promotion interne du film. Citons, par exemple, les paroles qui, à elles seules, pourraient constituer les seuls mots de cette critique :
« Quelle jolie promenade avec Mary, Mary fait se lever le soleil ! Même quand le ciel est maussade et gris, Mary sème des merveilles ! Ô, quelle jolie promenade avec Mary, où l’on croit vivre au bras d’un très beau rêve ! »


Les ingrédients de ce morceau de sucre, ce ne sont pas que ces silly symphonies – pour reprendre un titre aux sources de l’univers disneyen -, c’est aussi son impressionnante galerie de personnages hauts en couleur et leurs impeccables interprètes !


D’abord, à tout seigneur tout honneur, la nurse Marry Poppins !
La nounou qui sort tout droit des Nursery Rhymes, qui parle aux oiseaux comme Blanche-Neige, qui parle aux miroirs comme la Méchante Reine, qui chevauche des chevaux de bois volants, qui donne de l’huile de foie de morue estampillée Willy Wonka au goûts les plus surprenants et les plus appétissants, qui possède un sac volé au locataire diabolique de Georges Méliès, comme le fit Merlin un an plus tôt.
Mary Poppins, l’un des plus beaux personnages du cinéma, superbement interprétée par la belle Julie Andrews (La Mélodie du bonheur) qui lui fait don de sa voix unique, de sa beauté insolente et de sa panoplie d’expressions faciales plus étonnantes les unes comme les autres. Une interprète indépassable pour la nurse magicienne.


Ensuite, le génie du chant, de la danse et de la facétie, maître ès jeux de jambes et principal rival en talent de Peter Sellers, j’ai nommé l’excellent Dick Van Dyke (Chitty Chitty Bang Bang) ! Le mirobolant et truculent fantaisiste joue deux rôles diamétralement opposés : Bert, le jeune ramoneur amoureux de Mary Poppins et Mr Dawes Senior, le vieux grippe-sou directeur de banque et grand méchant du film. Deux rôles plus fou l’un que l’autre et un acteur qui passe avec une aisance déstabilisante de l’un à l’autre. Et derrière lui, pour la version française, le non moins excellent Michel Roux, le doubleur de Grand-Coquin dans Pinocchio, plus connu pour ses doublages de Dany Wilde dans Amicalement vôtre et plus généralement de Peter Sellers et Dick Van Dyke. Tout aussi génial que celui qu’il double, il fait parler avec une voix, un timbre et diction incomparables les deux personnages de Bert et Mr Dawes Sr.


N’oublions pas un de mes favoris, un de ces acteurs que l’on connaît généralement pour un Disney : le grand mais hélas souvent méconnu David Tomlinson (L’Apprentie sorcière, Un Amour de coccinelle, sauveur de Bons Baisers de Hong-Kong). C’est lui qui a la dure tâche d’incarner le stricte mais adorable Mr Banks, père des enfants que garde Mary Poppins. Rôle plus complexe car sans arrêt changeant et sujet à deux majeures métamorphoses. Un personnage tantôt triste, tantôt drôle. Un portrait nuancé de l’homme du début du siècle jugé aujourd’hui mauvais, misogyne et intolérant mais qui est aussi celui qui assume toutes les responsabilités qu’exigent sans les connaître ses doit-disant victimes oppressées. Un rôle tout en reliefs et disparités, assez surprenant d’intelligence pour un cinéma encore jeune et insouciant. Le meilleur rôle de David Tomlinson quoique le moins comique. Le voire les. Car, Tomlinson en remontre au grand Dick Van Dyke en doublant, en plus de son propre rôle physique, pas moins de trois autres rôles animés : un pingouin serveur, un jockey de la course et le parapluie « Archimède » de la fin du film.


Sans oublier les deux enfants, Jane et Michael. A noter le destin peu commun du jeune disparu Matthew Garber, peut-être de la famille de Victor Garber.


Pour compléter cette liste, une pléiade de créatures digne des Nursery Rhymes et des romans de Lewis Carroll.
Voici le gang des ramoneurs qui explorent le monde inconnu des toits et des cheminées dans de folles danses, entonnant ce refrain entraînant : « Gardez le rythme ! » qui fait flèche de toute réplique des autres personnages.
Voilà la satanique « joyeuse » famille des capitalistes qui ferait tout pour deux pences.
Ici, le policeman au grand coeur et à l’esprit ouvert, presque paternaliste.
Là, la vieille femme aux oiseaux qui mendie deux pences pour nourrir les oiseaux et qui, assise, usée, fatiguée et dans le dénuement, face au grand bâtiment rococo de la banque, condamne et défie le Veau d’or.
Et le meilleur, l’Amiral Boom et son second, Monsieur Boussole, qui font tonner le canon à chaque heure avec ponctualité. Les deux marins de terre vivent dans une maison comparable à celle de Jules Verne, hybride entre un appartement, un navire et un observatoire. Les deux loups de l’éther, sortes de Capitaine Crochet et Monsieur Mouche qui donnent l’heure comme le crocodile de Peter Pan, joyeux drilles aussi farfelus que le Chapelier toqué et le Lièvre de Mars, régissent le ciel et tirent les feux d’artifices dans une guerre insensée contre les ramoneurs à la façon de Gabin et Belmondo dans Un singe en hiver !


Des personnages en or, issus d’un âge d’or.



1964, Goldenyear



Il faut avouer que Mary Poppins est paru dans un contexte enchanteur dont elle reprend certains accents et certaines thématiques.


1964, c’est l’année de L’Homme de Rio où Belmondo joue un soldat qui voit sa routine militaire bouleversée le temps de sa permission par des aventures rocambolesques. Ce qui n’est pas sans rappeler les bouleversements que Mary Poppins amène avec elle dans la vie des Banks.


1964, c’est l’année du Dr Folamour où Peter Sellers cumule trois personnages différents dont le curieux personnage éponyme. C’est l’année où Dick Van Dyke se dépassent dans leur folie protéiforme.


1964, c’est l’année du Journal d’une femme de chambre où Buñuel et ses domestiques proches de celles de Mary Poppins.


1964, c’est l’année des Parapluies de Cherbourg, un film où l’on retrouve les couleurs, les chants (et, dans le titre, le parapluie) de Mary Poppins.


1964, c’est aussi l’année du mythique My Fair Lady, aussi incontournable que Mary Poppins, et qui est aussi un Bildungsfilm musical.


1964, c’est également l’année de Pas de printemps pour Marnie où Sean Connery joue une forme de Mary Poppins banksiséé qui ramène la pauvre Marnie, croqueuse de diamants, sur le droit chemin en faisant resurgir par son enquête la terrible étiologie du mal de sa belle voleuse.


1964, c’est l’année des premiers grands succès de De Funès tête d’affiche avec Fantômas et Le Gendarme de Saint-Tropez. Lorsque Louis De Funès est devenu Ludovic Cruchot, Julie Andrews est devenue Mary Poppins.


Enfin, 1964, c’est l’année de Goldfinger où l’antagoniste de James Bond cherche à détruire l’économie mondiale en atomisant le Fort Knox, réserve mondiale d’or, pour faire grimper la valeur de son or. Mary Poppins ne lui ressemble-t-elle pas, cherchant bousculer la banque des Dawes pour faire valoir son sucre et ses oiseaux ?


Il y a des fois, comme ça, où, visionnant Goldfinger ou Mary Poppins, on rêve d’avoir vécu en 1964 ! Ou l’on en a, peut-être, la nostalgie ?



Pas d’enfant pour Mary ?



Si le personnage déplore la perte des enfants qu’elle aimait tant, le film a eu une bienheureuse et fertile descendance.


Au cinéma, déjà, son succès encourageant les producteurs de 007 à adapter le seul roman de Ian Fleming qui ne met pas en scène son célèbre agent. Ce sera Chitty Chitty Bang Bang, avec l’interprète de Bert, à la croisée entre Charlie et la chocolaterie, les films de Ken Anakin, la série des James Bond et surtout Mary Poppins.
Le deuxième volet de Mon Beau-père voit De Niro se rendre ridicule, ne comprenant pas pas à qui fait référence Larry Poppins.


A la télévision, l’acteur William Hartnell définit son personnage né un an plus tôt comme un croisement entre le Père Noël et Mary Poppins. Depuis, ce personnage, l’anonyme Docteur, multiplie les allusions au film : le 11ème Docteur vit sur un nuage comme la nurse pendant le générique initiale et son ennemi mortel devient une femme, la version maléfique de Mary Poppins.


Dans le domaine de la chanson, comment ne pas rapprocher La Vie par procuration de Jean-Jacques Goldman des Ptits oiseaux de Mary Poppins.


Allons, les enfants ! Youplà !
Courrez voir ou revoir Mary Poppins !
Merci pour votre attention.

Frenhofer
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Box-Office Mondial Historique (avec l'inflation)

Créée

le 11 févr. 2018

Critique lue 857 fois

13 j'aime

8 commentaires

Frenhofer

Écrit par

Critique lue 857 fois

13
8

D'autres avis sur Mary Poppins

Mary Poppins
Samu-L
9

Moi j'aime ce que je fais parce que je fais que ce que j'aime

Il y a des gens qui sont devenu des rebelles anticapitalistes à cause de Marx, ou de Proudhon. Pour ma part, tout est de la faute de Mary Poppins! En effet, vous apprendrez dans ce film que: il vaut...

le 2 mai 2012

103 j'aime

16

Mary Poppins
Gand-Alf
8

Super Nanny.

Bien qu'ayant été élevé aux dessins animés de Walt Disney, je ne peux pas dire que "Mary Poppins" ai enchanté mon enfance. Diffusé quasiment à chaque période de Noël, le film de Robert Stevenson...

le 23 mars 2014

42 j'aime

6

Mary Poppins
Ugly
7

Un petit bonheur d'enfance

Plusieurs générations de spectateurs ont été bercés par ce film en forme de comédie musicale, Tonton Walt avait misé sur le bon cheval avec cette grosse production qui permit de révéler la délicieuse...

Par

le 24 déc. 2018

33 j'aime

2

Du même critique

Les Tontons flingueurs
Frenhofer
10

Un sacré bourre-pif!

Nous connaissons tous, même de loin, les Lautner, Audiard et leur valse de vedettes habituelles. Tout univers a sa bible, son opus ultime, inégalable. On a longtemps retenu le film fou furieux qui...

le 22 août 2014

43 j'aime

16

Full Metal Jacket
Frenhofer
5

Un excellent court-métrage noyé dans un long-métrage inutile.

Full Metal Jacket est le fils raté, à mon sens, du Dr Folamour. Si je reste très mitigé quant à ce film, c'est surtout parce qu'il est indéniablement trop long. Trop long car son début est excellent;...

le 5 déc. 2015

33 j'aime

2

Le Misanthrope
Frenhofer
10

"J'accuse les Hommes d'être bêtes et méchants, de ne pas être des Hommes tout simplement" M. Sardou

On rit avec Molière des radins, des curés, des cocus, des hypocondriaques, des pédants et l'on rit car le grand Jean-Baptiste Poquelin raille des caractères, des personnes en particulier dont on ne...

le 30 juin 2015

29 j'aime

10