Outre le fait qu'elle ait été marquée par un Brad Pitt plus talentueux que jamais dans Once Upon a Time in Hollywood et Ad Astra, l'année cinématographique 2019 a été, pour moi, l'année Xavier Dolan.


En effet, ce n'est qu'à partir du mois de mars dernier que j'ai décidé, après avoir découvert le surprenant et intense Tom à la ferme, de me pencher plus sérieusement sur la filmographie du canadien (j'avais vu Mommy et Juste la fin du Monde sans trop savoir à qui j'avais à faire). S'en est suivi une succession de notes des plus correctes. Partant j'étais très excité à l'idée de découvrir son nouveau film The Death and Life of John F. Donovan. Malgré le "bon élan", pour reprendre l'expression de Matthias, sur lequel s'était lancé le jeune réalisateur, son dernier cru m'avait frustré car je l'avais trouvé longuet et n'étais pas parvenu à rentrer complètement dedans, malgré les questions abordées (le contexte actuel, avec notamment le mouvement me too, était particulièrement propice pour s'attarder sur la question "que doit-on connaître d'un artiste ?"). Pour tout vous dire, le film m'avait paru trop ambitieux et dans le même temps trop brouillon, si bien que l'annonce de la sortie de Matthias et Maxime n'avait suscité aucune attente particulière. Or, ce dernier marquait un réel retour aux fondamentaux pour Dolan, ce qui suggérait qu'il y avait plus de chances de retrouver un ton similaire à celui des Amours Imaginaires ou de J'ai Tué Ma Mère (sans compter que le film marquait le retour des "tabernacle !" et autres expressions québécoises, après avoir tourné en anglais et en français pour ses deux derniers films).


Mais non, rien n'y fait (pas même la bande annonce), je suis resté dans la frustration laissée par le film porté par Kit Harrington et l'horripilant Jacob Tremblay et c'est sans réelle conviction que je me suis dirigé vers les salles obscures pour donner sa chance à Matthias et Maxime, m'attendant, au mieux, à un petit Dolan mais, clairement, à rien de bien transcendant. Et bien, j'ai rarement autant aimé avoir tort ! Simple et efficace, Matthias et Maxime est un condensé d'émotions : on rit, on est ému, on est malaisé... Xavier Dolan revient à ce qu'il fait de mieux et à des thèmes qui lui sont chers, tels que l'affirmation des sentiments et le rôle de la mère toxique (la sculpture de l'artiste Louise Joséphine Bourgeois, intitulée Maman me revient en mémoire en repensant au personnage de Anne Dorval, qui se retrouve pour la cinquième fois derrière la caméra de Dolan). Le réalisateur de Lawrence Anyway y incarne Maxime, l'un des personnages éponymes qui a pour projet de partir en Australie pendant les deux prochaines années et qui profite de ses amis avant le départ, tout en organisant la garde de sa mère, imprévisible et violente, durant son absence.


Les paragraphes qui suivent s'attardent sur certains détails en particulier : afin de ne pas trop vous en dévoiler, je vous recommande de découvrir le film avant de poursuive votre lecture.


Si la narration donne l'illusion que Maxime est au centre du métrage, celle-ci étant composée de quelques chapitres qui font office de compte à rebours, leur succession nous rapprochant petit à petit du Jour J, le véritable personnage principal du film, c'est Matthias. Le principal indice sur ce point réside, selon moi, dans le fait que Gabriel D'Almeida Freitas est au cœur des séquences les plus longues et contemplatives du film (on pense tout de suite à la scène du lac ou celle où il tente de détendre l'atmosphère en rigolant tout seul après avoir casser l'ambiance d'une soirée). En outre, à l'instar de Maxime, on suit son quotidien (on le suit chez lui, au travail, au restaurant...) mais c'est surtout son désarroi face à des sentiments qu'il éprouve envers son ami d'enfance, suite à un baiser échangé à l'occasion d'un court-métrage réalisé par la sœur d'un ami commun, qui se veut être le sujet même du film. Sans cesse, il va se sentir perdu, désorienté et absent (le symbole de la plante dans le bureau de son patron m'a échappé mais l'intérêt que lui porte Matthias illustre bien cette idée). Son comportement va constamment évoluer en passant par l'irritation, le doute, la tentation, la colère, la paranoïa, le déni et la violence pour finalement céder à ses pulsions le temps d'une séquence très crue : ce n'est pas tant le voyage de Maxime qui importe ici, mais celui de Matthias, plus psychologique et émotionnel, et on l'accompagne dans son périple.


Partant, bien que le temps de présence de Maxime à l'écran est loin d'être insignifiant, la balance penche plus du côté de Matthias. Néanmoins, cela n'empêche pas le personnage de Xavier Dolan d'être au centre de quelques très belles séquences. Celle qui m'a très certainement le plus marqué est celle dans le bus, qui n'est pas sans rappeler, au passage, la séquence de Shame dans laquelle Michael Fassbender défit du regard une inconnue dans le métro, au cours de laquelle Maxime échange quelques regards gênés avec l'un des passagers jusqu'à ce que ce dernier détourne son regard à la vue du sang coulant sur le visage du premier. Je ne saurais dire vraiment pourquoi mais le contact entre le rouge sang et le rouge de la tâche de vin, qui occupe une partie du côté droit du visage de Maxime, m'a touché par sa beauté. Comme évoqué plus haut, il y a également les intenses confrontations entre Maxime et sa mère et qui font beaucoup penser à celles que l'on pouvait déjà voir dans J'ai tué ma mère. Certains y verront un réédite par rapport aux précédents films du réalisateur mais, pour ma part, j'ai trouvé que le contexte familial tendu, déjà vu, certes, confortait le besoin de Maxime de partir en voyage sur une longue période, même sil faut bien reconnaître que Dolan n'a pas vraiment innové à ce niveau et se contente du strict minimum en termes de développement.


En revanche, les autres mères présentes dans le métrage m'ont beaucoup fait rire, surtout lors de la grande avant-première du court-métrage évoqué plus haut. Le contraste avec la mère de Maxime est, là aussi, pas très recherché mais est si prononcé qu'il en devient jubilatoire. En ce qui concerne l'humour du film justement, celui-ci vient surtout de la fameuse bande de potes. Très vite, j'ai eu l'envie de les rejoindre, de me baigner dans le lac et d'imiter la voix de Bane de The Dark Knight Rises en mettant mes mains sur mon visage. Cette sensation d'affiliation quasi instantanée s'explique par le fait d'avoir opter pour une réalisation très rapprochée, la rendant très immersive, et m'a rappelé mon premier visionnage d'Everybody Wants Some!!. Bon sang que ces personnages ont pu me faire rire ! Je n'avais pas ri autant dans une salle de cinéma depuis Parasite (bon d'accord, ça ne fait pas si longtemps que ça mais quand même) ! Les répliques fusent constamment et une réelle authenticité se ressent. Faut dire aussi que les acteurs sont de très bons amis du réalisateur : forcément ça aide ! Outre les fous rires, les membres de la bande se préoccupent les uns des autres et peuvent aussi se prendre la tête entre eux, sur le ton de la plaisanterie pour gagner un pari ou encore en venant directement aux corps à corps lorsque l'un d'eux dépasse les bornes. Tel sera le cas le temps d'une soirée durant laquelle Matthias, particulièrement irrité, sème la discorde pour une bagatelle et insulte gratuitement Maxime. Le fait de ne pas avoir recouru à des flash back pour contextualiser l'insulte "la tâche" ne prive en rien cette dernière de son impact. Néanmoins, on peut regretter le manque de développement en ce qui concerne le dérangement de Maxime vis-à-vis de cette marque qui est surtout évoqué le temps d'une scène où ce dernier tente de la cacher avec ses mains.


En somme, après un Death and Life of John F. Donovan pour le moins frustrant, Xavier Dolan a, contre toutes attentes, su frapper fort avec Matthias et Maxime et m'a tout simplement requinqué, malgré le fait que certaines choses aperçues dans le film auraient pu être plus développées et que la résolution soit un peu trop heureuse ! La réalisation, les acteurs, la bande son... tout y est bon ! Un coup de fouet dans un top 10 2019 qui n'est pas des plus folichon ! 8/10 !

Créée

le 26 oct. 2019

Critique lue 280 fois

4 j'aime

2 commentaires

vic-cobb

Écrit par

Critique lue 280 fois

4
2

D'autres avis sur Matthias & Maxime

Matthias & Maxime
HALfrom2046
8

Le tremblement d'amour

« Il fait toujours la même chose », « ça tourne en rond »… Voilà ce qu'on a pu entendre au Festival de Cannes et avant la sortie de Matthias et Maxime. Non, le dernier film de Xavier Dolan n’est pas...

le 15 oct. 2019

65 j'aime

5

Matthias & Maxime
Cinephile-doux
6

Identité empêchée

Avec 'Matthias et Maxime, Xavier Dolan effectue un retour aux fondamentaux du cinéma qui l'a fait connaître, loin de ses deux dernières expériences "étrangères" qui n'ont pas vraiment convaincu son...

le 24 sept. 2019

31 j'aime

2

Matthias & Maxime
Floridjan
8

La fin d'un monde

Voilà longtemps que je ne m'étais pas senti aussi enthousiaste par un film de Xavier Dolan. Je retrouve enfin le réalisateur qui m'a conquis, celui de J'ai tué ma mère et des Amours imaginaires. Quel...

le 20 oct. 2019

29 j'aime

13

Du même critique

Stranger Things
vic-cobb
7

Picture an acrobat standing on a tightrope...

Je n'ai jamais été fan d'E.T., mais j'avais regardé la bande annonce de Stranger Things par curiosité (après tout, c'est une série Netflix) bien que la série était d'ores et déjà comparé au film de...

le 19 juil. 2016

26 j'aime

Vivarium
vic-cobb
6

Quatre murs et (un) toi(t)

Malgré l'absence de renard dans le paysage, on ne peut s'empêcher de penser à Foxes en regardant Vivarium tant le cadre du court-métrage et celui du deuxième film de Lorcan Finnegan sont identiques :...

le 28 mars 2020

24 j'aime

1

Manifesto
vic-cobb
9

L'Harmonie du Chaos [critique de l'exposition]

La bande annonce de Manifesto m'avait grandement intrigué et c'est avec une certaine surprise que j'appris qu'il s'agissait en fait d'une exposition (le film devrait sortir un jour prochain) ...

le 5 mars 2017

24 j'aime

1