Dès le prologue musical, Lars von Trier pose le décor. Et celui-ci est magistral. Il faut dire que Wagner fait le gros du travail, avec le prélude de Tristan - qui sera d'ailleurs réutilisé pendant tout le film, avec cette interprétation du philharmonique de Prague particulièrement efficace... Ce choix musical acompagne ainsi parfaitement cette succession de plans-tableaux en slow-motion, très symptomatiques du soin accordé à l'esthétique du métrage. Les inspirations de Lars, autres que ses pairs (dont Tarkovski et Murnau), et plus que la peinture flamande (dont le Bruegel du prologue est l'illustration explicite), sont dominées par l'imagerie du romantisme allemand, du symbolisme, et surtout du préraphaélisme (de l'Ophélie de Millais, au traitement de la nature). Bien heureusement, Lars n'étale pas prétentieusement toute sa culture telle de la confiture ("moins on en a..."), mais disperse ses influences harmonieusement tout au long de son œuvre.

Entre le fantastique prologue et le final sidérant, on trouve le non-moins fabuleux "cœur du film", en 2 actes. Le premier, le plus léger, est un huis clos qui présente des personnages forts, et, sans prendre le spectateur pour un imbécile, plante les germes de ce qui va suivre, en montrant l'implacable dérive du personnage principal, ses causes et ses catalyseurs. Le second acte oppose habilement la dépression (qui engendre distance, passivité et lucidité face aux évènements) à la profusion de sentiments (amour, peur, espoir, tristesse) du prodigieux tandem Dunst/Gainsbourg. On y trouve aussi un "3ème homme", incarné par un Jack Bauer version scientifico-bourgeois, qui fait contre-poids à l'humanité des 2 femmes ; il est le repère "mécanique" de l'histoire, le probabiliste, le logique, froid jusque dans son autodestruction (sans adieux).

Tout comme The Tree of Life, le film peut aussi s'apprécier très "simplement" en ne s'accrochant qu'à la trame "findumondiste" émouvante, servie par une mise en scène fascinante. Bien sûr, l'intérêt du film est ailleurs, et on peut s'amuser à l'analyser (il y a 3 pistes : son sens métaphorique, la psychologie des personnages, et ses influences culturelles), pour en profiter pleinement. De par sa rigueur intellectuelle, sa qualité dans le traitement de ses thèmes, la direction d'acteurs et les choix visuels, Melancholia est le meilleur LvT. Du très grand Cinéma.
Cylon
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le 19 sept. 2012

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le 19 sept. 2012

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Cylon

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