Dépression et rémission : reconstruire le sens

Ceci est la dixième partie de l'épisode d'Artborescience intitulé "Dépression et rémission".

Le texte entier est disponible sur le site : https://www.morganegrosdidier.com/2022/05/artborescience-s3-ep6-depression-et-remission/

Ce texte contient des divulgations. Cela dit, on ne peut pas dire que Melancholia soit divulgâchable.

Le film Melancholia de Lars von Trier nous montre une dépression majeure riche de la lucidité et de la force que les grecs attribuaient à la mélancolie. Le réalisateur s’est inspiré d’un épisode dépressif qu’il a lui-même vécu.

Voici le synopsis : à l’occasion de son mariage, Justine donne une somptueuse réception dans la maison de sa sœur et de son beau-frère. Pendant ce temps, la planète Melancholia se dirige vers la Terre…

La planète ne va pas magiquement changer de trajectoire, bien sûr. Ce n’est donc pas divulgâcher que de dire que la terre va être détruite : ça fait quasiment partie du pitch du film. On visionne cette destruction à l’issue de la première partie du film, magnifique introduction de 20 minutes qui résume tout d’une manière poétique.

Après cette introduction, on se retrouve à la fête de mariage de Justine, jeune femme qui est dans la phase ascendance d’une vie matériellement réussie. Un épisode de dépression majeure peut frapper – et frappe souvent – quand tout semble aller pour le mieux. On se rend vite compte – dès la soirée du mariage – que le bonheur de Justine est une façade, ou du moins qu’il est très artificiel et superficiel. Il y a quelque chose qui se brise à l’intérieur d’elle, et il ne me semble pas que, à ce stade du film, on puisse soupçonner que la prédiction de collision de la Terre soit vraiment pour quelque chose dans le déclenchement de cette crise (si mes souvenirs sont bons, en tout cas). Cela résonne plutôt comme une sorte de synchronicité.

La crise de Justine est d’abord une crise du sens, une crise de la signification de l’existence même. C’est ce que révèle la fameuse scène de la bibliothèque, quand Justice change les livres d’arts exposés. Elle retire les pages montrant des œuvres contemporaines, abstraites et froides afin de les remplacer par des tableaux rattachés à la condition du vivant, à la vie humaine ou sauvage soumise aux cycles des saisons… tels que Les chasseurs dans la neige de Pieter Brueghel.

Justine semble ainsi exprimer le besoin de la personne en dépression de retrouver son lien au vivant, son lien à sa propre vitalité et aux liens qui tissent la biosphère dans son ensemble – ce qui est indissociable de la question du sens. La personne en dépression a besoin retrouver la vie en soi-même, au niveau le plus fondamental, et à l’extérieur de soi-même dans un Univers réenchanté dont elle fait partie intégrante. C’est ce que montre aussi Justine lorsqu’elle s’accouple sous le ciel nocturne ou qu’elle prend un bain de lune.

Après une période de dépression noire et de faiblesse extrême au cours de laquelle Justice ne se nourrit plus et peut à peine se mouvoir, la jeune femme retrouve un semblant de vie et, surtout, une certaine sérénité qui lui permet d’appréhender la collision de Melancholia avec un calme et une lucidité qui contrastent avec le déni ou la panique qui caractérisent les autres personnages. Nous en revenons à l’idée d’acceptation, si cruciale.

C’est Justine qui finit par être un soutien pour les autres. Elle est la seule à savoir comment gérer la situation, dans la perspective d’une destruction inéluctable de la planète et de tout ce qui y vit. La solution est de sauver le sens de ce qui existe, le sens de ce qui est et doit demeurer précieux malgré sa disparition physique. C’est le sens de la construction du tipi et de la main que l’on donne à l’autre.

La Terre est détruite, mais l’essentiel est donc sauf. On disparaît physiquement en ayant préservé en soi ce qu’il fallait préserver. Malgré cette destruction totale de la planète, Melancholia est à ma connaissance le film le plus optimiste et le plus lumineux de Lars von Trier.

Metamonita
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le 29 mai 2022

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