Mourir en beauté plutôt que vivre dans la laideur

Au cinéma, la fin du monde est souvent hideuse, rarement sublime. Jamais un astre menaçant le monde n'avait été aussi bleu, familier et beau. La douceur, l'abandon, le déchirement conjugués des derniers instants empoisonnent toutes les beautés du film jusqu'à les saturer : le cheval fougueux, la jeune mariée, la mère courageuse... et l'atmosphère lourde et crépusculaire nous prive d'air, nous aussi. Dans cette fascination décadentiste pour le dernier souffle de vie, on peut reprocher au film une esthétique parfois étrange, entre expo photo tape-à-l'œil, clichés du dernier Vogue et compositions très kitsch, notamment pendant les cinq premières minutes, où l'on se demande si la beauté et la pompe suffisantes de Wagner ne rendent pas vaine et pire, laide, cette tentative picturale. A son crédit, cependant, deux performances d'acteurs rares ; Lars Von Trier a peint à travers ces deux femmes un diptyque : le mariage, promesse ironique d'une vie heureuse, et la danse funèbre précédant le néant, sorte d'ultime parade amoureuse entre la Terre et Melancholia.

Le cadre, un magnifique château, montre assez vite la vanité de l'esprit bourgeois, le ridicule des traditions et superstitions liées au mariage auxquelles Justine (Kirsten Dunst) ne peut plus se forcer : incapable de jeter le bouquet, on le fait pour elle, et l'on doit guider sa main pour couper le gâteau. Ce symbole du bonheur commun vole en éclats face au cynisme de la mère, la nuit de noces ratée, cette limousine ridicule. Les invités sont sournois ou intéressés ; aucun n'a de sentiment noble à l'égard de Justine si ce n'est son mari, d'une naïveté confondante. L'amour pour Justine est tour à tour intérêt, argent, leçon de morale ou promesse lointaine, quand ce n'est pas de la rancœur (« she ruined my marriage »). Justine garde les yeux clos, comme pour déjà se soustraire au monde en refusant de le voir. Ses va-et-vient entre la fête et l'isolement mélancolique laissent entrevoir la tristesse infinie, sans larmes, d'un être dans le secret du destin.

Claire (Charlotte Gainsbourg) quant à elle, est un personnage simple, une mère inquiète et courageuse qui refuse le sort ; c'est d'elle qu'on se sent le plus proche car elle tient le milieu entre Justine, déjà désincarnée, et John (Kiefer Sutherland) qui représente l'attachement aux biens terrestres – celui qui pour échapper à une souffrance insupportable, demeurera égoïste jusque dans l'acte du suicide. Finalement, la seule certitude, le seul réconfort dans cette épreuve viennent d'un objet en bois et d'un tipi de branches : la brutalité de la fin du monde ne peut être affrontée qu'à nu, à l'œil nu précisément, à travers la régression de l'homme vers un génie enfantin, quand la science et les télescopes ne sont plus d'aucune utilité. L'humanité est ramenée à l'âge primitif des croyances enfantines et des cabanes magiques. Justine redevient une enfant, capricieuse et boulimique, mais elle ressent, le moment venu, la même sérénité que le petit garçon.

Pas surprenant donc, de voir Lars Von Trier s'essayer au film catastrophe. On y trouve peu de philosophie, plutôt un nihilisme, ou un désespoir misanthrope. On éprouve une étrange curiosité devant le spectacle de ces pantins, s'agitant dans le rituel, le banal ou l'inutile alors que la fin est écrite depuis la première image. A quoi bon jouir ou se réjouir une dernière fois ? Il y a bien longtemps que LVT a tordu le cou au mythe des derniers instants. Mieux vaut se donner à la planète et embrasser cette fin tout simplement belle : mourir en beauté plutôt que vivre dans la laideur. LVT dit : "le monde est cruel, il faudrait mourir", quand le sage dit : "il aurait mieux valu ne jamais naître, mais vivons, bien que le monde soit imparfait". On veut séparer le provocateur de l'artiste, peut-être ne sont-ils pas bien différents.
Lils
8
Écrit par

Créée

le 27 août 2011

Critique lue 413 fois

4 j'aime

1 commentaire

Lils

Écrit par

Critique lue 413 fois

4
1

D'autres avis sur Melancholia

Melancholia
Thaddeus
5

Le nombril de Lars

Comme souvent, il est difficile d'émettre un avis valide sur un film qui a été tant commenté, et qui a conquis dès sa sortie une très grande notoriété auprès du public cinéphile, y compris parmi ceux...

le 11 juil. 2012

151 j'aime

23

Melancholia
TheScreenAddict
10

Monumental !

Jusqu'à présent, nous n'avions vécu la fin du monde au cinéma qu'à travers un nombre incalculable de films catastrophe, souvent outrancièrement spectaculaires, presque toujours issus des studios...

le 14 août 2011

148 j'aime

30

Melancholia
Hypérion
8

Sometimes I hate you so much, Justine

Deux sœurs, deux corps célestes, deux parties jointes par une introduction qui officie également comme conclusion. Melancholia est un film circulaire, où les lentes rotations des planètes et les...

le 19 août 2015

111 j'aime

3

Du même critique

Sur écoute
Lils
9

Baltimore déshabillée

The Wire est souvent rangée à tort dans les séries policières. Elle n'y est pas tout à fait à sa place. Le vrai sujet, c'est la cité, Baltimore, c'est-à-dire les hommes qui la constituent ; et...

Par

le 17 août 2011

2 j'aime

Les Soprano
Lils
10

Un destin américain

Tout a déjà été dit sur la meilleure série de l'histoire de la télé. Il faut quelques temps pour la digérer, comprendre ses symboles, son tragique, son humour, interpréter les fortunes diverses de...

Par

le 11 août 2011

1 j'aime

La Caravane de l'étrange
Lils
9

Une série totale

Carnivalè est l'une des plus belles productions d'HBO. Un bijou qui séduit d'abord par sa photographie, son atmosphère, son exactitude qui résisterait à tous les examens, sa poésie et sa musique,...

Par

le 10 août 2011

1 j'aime