Après une décennie de lutte sociale et de montée des revendications du monde ouvrier italien, Lina Wertmüller, rare cinéaste italienne féminine présente dans les livres d'Histoire, change de cap dans sa filmographie. Ayant prouvé son talent dans le film d'art au cours de ses précédents travaux elle réalise à la surprise générale Mimì metallurgico ferito nell'onore, comédie à l'ambition populaire et fédératrice dans la lignée de la comedia all'italiana cynique et engagée des années 60.
Ce brusque virage esthétique et politique lui causera bien du tort et une très mauvaise réputation en Italie où la critique ne l'épargnera pas.


Mimì metalurgico relate les affres de Mimì, un mineur sicilien joué par Giancarlo Giannini, sorte de Marcello Mastroianni dans Divorzio all'italiana version Buster Keaton, forcé de quitter sa terre natale par la Mafia sicilienne après avoir voté pour le Parti communiste. Arrivé à Turin en ayant laissé sa famille et sa femme, il recréé sa vie : nouveau travail dans une métallurgie, nouvelle carte au Parti communiste turinois, nouvelle amante trotskiste et bientôt nouvel enfant en dehors de son mariage.
Aussi, comme dans la plupart des comédies italiennes classiques, l'on se mettra en quête d'encapsuler l'essence du mâle alpha italien dans toutes ses contradictions, et particulièrement son rapport à la sexualité. Le film balaye ainsi sur un ton burlesque et décalé tous les sujets de société d'actualité pour constituer une sorte de radiographie d'une Italie à la peine en ce début des années 70. Tout passe plus ou moins à travers la lentille à l'affût de Wertmüller : le travailleur sicilien, sa fierté, sa misogynie, son tiraillement entre modernité et traditionalisme, son rapport au collectif et à la lutte, la profonde fracture Nord/Sud du pays.
Au milieu de tout cela, l'omniprésence de la mafia, présentée comme bras armé du capitalisme débridé, notamment dans cette scène de discussion tendue entre Mimì et le parrain de Catane, où la question de savoir qui est le laquais de qui entre patrons et mafieux sera abordée. Cette ubiquité étouffante se matérialise habilement à travers le réemploi d'un acteur jouant tous les chefs de bandes et un leitmotif reconnaissable : trois grains de beauté en triangle sur la joue droite et un vif zoom avant les mettant ironiquement en évidence dans un décalage conspirationniste aussi hilarant que grinçant.


Parce que Mimì métallurgico est une comédie on ne peut plus sérieuse et sincère. Là où l'on pouvait reprocher à un Divorzio all'italiana une forme de déséquilibre entre critique acerbe du traditionalisme sicilien et célébration du progressisme romain, 10 ans plus tard Mimì est beaucoup plus prudent et s'affaire à poser une dialectique minutieuse dans son discours politique. La nuance du récit et sa mise en scène passeront ainsi par autant de plans et de détails pour le moins signifiants : le rôle des costumes de Mimì par exemple, là où pulls tricotés et bariolés signifieront, portés, la pureté, l'idéalisme communiste, mais aussi la naïveté amoureuse, les costumes noirs strillés et autres lunettes de soleil et pento le raccrocheront à son penchant old school. Dans la même mouvance, Wertmüller se garde de décrire les villes en plein boom industriel du nord de l'Italie trop explicitement, laissant la caméra capter l'absurdité de leur course folle. Mimì est ainsi cadré en lent zoom arrière lors de son arrivée à Turin, comme pour signifier sa solitude, bloqué sur un rond-point infranchissable emprunté avec frénésie par un monde motorisé visiblement hostile à sa venue.
Ce sens du sérieux, mis en parallèle à l'humour potache omniprésent, tend à faire de l'œuvre une sorte de rapsodie parfois difficile à suivre, mais surtout hautement protéiforme. L'on passe subtilement du rire au mélodrame en un clignement de cil et la mise en scène manipule les nerfs du spectateur de manière déroutante. Le rapprochement originel sur fond de balades bucoliques entre Mimì et Fiore mènera à une déclaration d'amour grotesque et émouvante par intermittence, où les amants turinois feront tomber les masques plus ou moins habilement, mais toujours dans une sincérité faut-il dire assez touchante.


Le deuxième segment qui met en scène le retour forcé de Mimì à Catane sous fond de manipulation mafieuse s'avère être le réel tour de force narratif du film. Mimì se voit transformé en véritable éponge à paradoxes, absorbant la versatilité et la violence des luttes idéologiques et sociales dont il est à la fois le témoin et l'acteur. L'adultère dont il est responsable, celui dont il est la victime et le dilemme politique auquel il est confronté entre son travail, la pression de la mafia et la lutte communiste, agissent ainsi comme une réelle expérimentation sociale où Wertmüller s'amuse à rassembler tous les contradictions italiennes au sein d'une même interface, chape de plomb terrible et insoluble. Mimì et son entourage implosent alors au sein du cadre dans un mouvement grotesque poussé à son paroxysme.


L'ironie cynique triomphe et Wertmüller montre à quel point idées et convictions se matérialisent aussi vite qu'elles sont abandonnées. Mimì perd foi en la lutte lorsque le pouvoir frappe à sa porte. Dans une scène de règlement de compte d'anthologie il révèlera son adultère et son enfant caché à sa femme : non pas lorsque celle-ci aura avoué le sien, mais seulement lorsque sa virilité, soupçonnée d'être substituée par une homosexualité suggérée, sera la plus profondément attaquée. Enfermé dans sa propre mauvaise foi, le règne de la vengeance, voire de la vendetta, triomphe.
Sa planification, qui aura bien sur l'effet inverse de celui escompté, vera la farce sexuelle finale s'appuyant sur le corps d'Amalia, souligner la formule poétique de l'entreprise. Désacraliser la performance de la masculinité en confrontant le fantasme de son autorité à sa fragilité, à sa part d'inconsistance et de ridicule.


Déterminer les contours de la psyché latine n'est pas tâche aisée. Wertmüller semble suggérer que l'honneur, l'égoïsme, le profond sens du traditionalisme patriarcale sont autant de freins à la possibilité de faire société en harmonie. Au-delà du mépris réciproque Nord/Sud et des ravages de l'urbanisation sauvage, Mimì montre une certaine difficulté à dépasser les déterminismes de l'époque. L'omniprésence de la mafia agit ironiquement comme une sorte de démon sur l'épaule de chaque citoyen, et Mimì, symbole de toute une communauté masculine en crise, finira seule dans la même carrière minière où tout avait commencé.


Tant que l'honneur est sauf...

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le 6 déc. 2021

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