Notre grand frère Mamoru Hosoda, émouvant, tendre, débordant d’humour...

À la manière de certains contes, tel « Les Oies sauvages », collecté par Afanassiev et décrivant le parcours d’une grande sœur vis-à-vis de son petit frère, Mamoru Hosoda nous livre ici une sorte de conte initiatique moderne, retraçant les difficultés rencontrées par un tout petit garçon, Kun, pour accepter la venue dans son monde d’un « heureux événement », sa petite sœur Miraï. S’inspirant largement de sa propre expérience de papa et de ses souvenirs d’enfance, il épouse dès les premiers plans le point de vue de Kun, en un dessin tout en rondeur, dans des tons pastels.


L’essentiel de l’action s’ancre dans et autour d’une maison de ville, lieu de l’intime subissant l’effraction de la nouvelle venue. Le dessin et l’organisation de la maison, conçue par un véritable architecte, achèvent de poser ce lieu comme métaphore de l’espace psychique : dans le volume intérieur, l’absence de cloisonnement hermétique dit la porosité des territoires personnels et l’extension de l’intrusion, voire de la colonisation opérée par la petite nourrissonne, d’autant plus offensive qu’elle est supposée être radicalement sans défense, donc impossible à attaquer, même si le grand frère, délogé, ne se privera pas, en représailles, de transgresser l’interdit.


Salutairement, le temple familial offre au petit Kun un point de fuite ; fuite non pas vers un extérieur absolu mais vers une sorte d’approfondissement de l’espace interne, passant de la double dimension du plan à la triple dimension, grâce à la verticalité haut-bas de l’arbre, qui tout à la fois plonge ses racines dans le passé et projette ses branches vers les développements de l’avenir. C’est en effet une cour intérieure, tenant le rôle du cloître et de l’hortus conclusus au cœur de la maison, qui offrira au petit reclus cette échappée. Au sein de cet espace véritablement nouveau, dont les dimensions ne cessent de s’agrandir et les frontières de reculer à chaque nouvelle exploration, l’enfant côtoiera, en un lâcher-prise très psychanalytique et dans un bouleversement spatio-temporel complet, son chien devenu prince, sa petite sœur « de l’avenir » - Miraï signifiant déjà « avenir »... -, donc bien plus grande que lui à présent et le sermonnant comme un garçonnet, sa maman encore petite fille, un aïeul encore jeune homme mais déjà grand blessé de guerre, enfin lui-même, lancé à la recherche des siens... et de sa sœur ! Quels détours ne faut-il pas emprunter pour accéder, enfin... à l’autre ! Et donc à un soi apaisé, réconcilié.


Ce nouveau long-métrage d’animation de Mamoru Hosoda pose ainsi la question de la délicate frontière entre l’attendrissant et le mièvre. Certes son film émeut, attendrit, ravit, porte au rire, invite à aimer son prochain plus qu’à le haïr et à le mettre en pièces, mais jamais il n’est mièvre, à la manière dont pouvait l’être la récente réalisation d’une compatriote, « Silent Voice » (2018), de Naoko Yamada (https://www.senscritique.com/film/Silent_Voice/13247969). Sans doute parce qu’il ne dissimule pas les ambiguïtés des mouvements de l’âme, ses accès de rejet, de vraie méchanceté. Mais sans doute aussi, et peut-être plus encore, parce que toutes ces pulsions les plus inavouables - des plus scélérates aux plus tendres - sont toujours dépeintes dans l’énergie d’un humour qui emporte l’adhésion et sauve le film d’une chute dans les ornières de la fadeur.


Un dynamisme, une vigueur, qui confèrent à cette réalisation un charme irrésistible et lui permettent d’inviter à l’introspection tout en échappant radicalement à toute lourdeur ou tout moralisme.

AnneSchneider
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le 12 déc. 2018

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Anne Schneider

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