Je suis sorti de la séance il y a quelques jours et le film de Damián Szifron est resté un long moment dans l'esprit, au point que je n'ai pas voulu rallumer l'autoradio sur la route du retour, c'est dire. Il fallait rester dans l'ambiance et dans la réflexion de ce que j'ai vu ! Ce thriller policier très sombre a laissé une trace qui va rester longtemps dans la tête.


Car déjà, Misanthrøpe débute avec une scène choc montrant un carnage de masse au fusil par un tireur invisible, en pleine nuit, en pleine fête d'un nouvel an dans l'après pandémie de COVID. Commence alors une enquête que dirige l'agent du FBI, Geoffrey Lammark, un officier intransigeant dans le bon côté du terme à l'inverse d'une bureaucratie qui lui met la pression et, tant qu'à dire, aussi les bâtons dans les roues. Il y a aussi la jeune policière, Eleanor Falco, présente antérieurement sur les lieux de la fusillade et sachant réagir tout de suite en ordonnant de filmer les personnes qui fuient en panique la tuerie pour déceler plus tard un éventuel suspect. On nous la montre faisant preuve d'empathie à une personne à la marge dans un restaurant avant le drame. Elle a pourtant un passé sombre qui l'a fait recaler de l'examen d'entrée au FBI, ce qui n'échappera pas à Lammark qui verra en elle, malgré la tare morale, un potentiel pour débusquer un tueur insaisissable. Car ce dernier ne laisse aucune empreinte derrière lui.

L'actrice et l'acteur que sont Shailene Woodley et Ben Mendelsohn se sont appliqués à merveille en jouant deux personnages qui portent le film à eux-seuls. On se lie avec eux et on rage lorsqu'ils subissent des décisions d'une hiérarchie incompétente sur un fond de guerre de pouvoir d'intérêt politique et de carrière, une situation qui ronge de plus en plus Lammark subissant les invectives bureaucratiques. On rage dès que les médias mettent leur grain de sel, risquant de tout compromettre.

Et c'est au fur et à mesure que derrière la traque du tueur fantomatique se ressent progressivement une critique impitoyable sur la société dans laquelle nous vivons et nous nous confortons, toutes les classes sociales confondues allant des élites aux petits consommateurs. Oui, on sent bien que ce film nous met le nez dans notre merde de consumérisme bruyant, de nos avidités de montrer et de voir toujours plus des images sensationnelles étriquant les jugements,

ou comme parfois de regarder un pauvre type exclu, en marge, qui fait grimacer avec un certain dégoût comme l'expriment les deux femmes qui mangent dans le fast food et qui trouveront la mort dans la fusillade du centre commercial.

Il y a tant à dire que je préfère ne pas aller dans un étalage ennuyant. J'ajoute quand même que le passage de l'enquête dans l'abattoir est filmé de manière à ce que l'ambiance soit malaisante. C'est réussi de ce côté-là !

Finalement, le tueur finit par être débusqué et se révèle être un homme brisé et épuisé par la vie et nos semblables. Il est pris en empathie par la policière autant qu'il peut l'être par le spectateur car son dernier dialogue racontant sa vie et de son ressenti du monde moderne nous touche. Les deux personnages sont comme un miroir l'un de l'autre mais avec deux choix d'agir qui sont opposés. Mais la situation finira tragiquement pour le pauvre type devenu un monstre séquestrant, car senti trahi à cause d'une visite inopinée d'une patrouille, l'agent Falco qui ne se laissera au bout de compte pas faire, montrant qu'elle peut être une personne forte surmontant ses mauvaises pulsions, les canalisant pour agir en bien.

Étant bien conscient que tout le monde ne peut pas être d'un même avis (il paraît aussi que le film s'est fait littéralement descendre par la presse anglophone à l'heure où je tape ces lignes), du très bien réalisé Misanthrøpe, j'en suis sorti dans une humeur triste et amère. Avec un peu de rage intérieure aussi, couplée à de la réflexion qui met face à la frontière entre les bonnes intentions qui peuvent sauver et les mauvaises qui mènent à la perte en réaction à une société malade ne mettant en valeur, de plus en plus, que les choses laides et superficielles à la vie.


Il y a bien longtemps que je ne m'étais pas trouvé dans un tel état après un film ...

MonsieurScalp
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2023

Créée

le 4 mai 2023

Critique lue 233 fois

8 j'aime

5 commentaires

MonsieurScalp

Écrit par

Critique lue 233 fois

8
5

D'autres avis sur Misanthrope

Misanthrope
EricDebarnot
8

Presque un grand thriller…

Un très petit nombre de thrillers ont marqué de manière – pour le moment – indélébile, mais également universelle le cinéma contemporain : les 3 qui viennent à l’esprit de tout le monde (quels que...

le 30 avr. 2023

49 j'aime

5

Misanthrope
JorikVesperhaven
7

Nihilisme meurtrier.

Rares sont les traductions françaises des titres de films américains (ou autres) à être supérieures et plus adaptées que le titre original. Et bien après être sorti de la salle, on peut aisément...

le 27 avr. 2023

31 j'aime

3

Misanthrope
Behind_the_Mask
8

The night comes for us

Damian Szifron... Cela disait bien quelque chose au masqué. Jusqu'à ce qu'il réalise qu'effectivement, il avait bien aimé son Les Nouveaux Sauvages qui, mine de rien, date déjà de 2014. Neuf années...

le 10 mai 2023

28 j'aime

2

Du même critique

Les Dents de la mer
MonsieurScalp
8

"Il nous faudrait un plus gros bateau !"

Un des premiers blockbusters devenu un bon vieux classique d'épouvante et d'horreur. Certes, le gros squale ne berne plus les yeux depuis longtemps par son apparence grotesque, mais le film se tient...

le 8 avr. 2017

20 j'aime

3

Jurassic Park
MonsieurScalp
8

Des grands sauriens et des petits hommes

Ce film, je l'avais boudé à sa sortie. Non mais, sérieusement, les aînés à qui je m'adresse ! Oui ceux de mon âge, là ! Rappelez-vous l'énorme boucan médiatique que la sortie du film de Steven...

le 29 avr. 2020

19 j'aime

8

Spider-Man: Far From Home
MonsieurScalp
4

Spider-Boy en vacances ...

Déjà, ça commence mal, car la bande sonore nous sert du Whitney Houston avec "I Will Always Love You", l'un des slows les plus irritants dès que ça crie aux oreilles, ici en chanson commémorative des...

le 12 juil. 2019

19 j'aime

8